Le bandeau, déjà, interpelle (oui, bien sûr, il est là pour ça) : « Son oeuvre la plus ambitieuse à ce jour ». Bon, quand on connaît un peu Ellroy, on se doit de reconnaître que, niveau ambition, ça n’est pas le dernier, loin s’en faut. Le gars a même plutôt tendance à briller par l’ampleur de son oeuvre et l’apparente facilité avec laquelle il aligne les morceaux de bravoure depuis une trentaine d’années. La parution de Perfidia en 2015 avait suscité autant d’enthousiasme que de doutes : ce second quatuor de Los Angeles serait-il à la hauteur du premier ? Le filon n’allait-il pas finir par se tarir progressivement ? C’était mal connaître Ellroy qui, avec ce premier volume, avait déjoué les pronostics les plus pessimistes et offert un texte qui parvenait à rester brillant et percutant sur 800 pages. Autant dire que l’on abordait donc La tempête qui vient plutôt confiants, prêts à en découdre avec les cauchemars et obsessions du maître et rassurés sur ses capacités à se renouveler tout en conservant cette puissance de feu qui fait de la lecture de ses romans une expérience unique.
Et c’est finalement dans ce second volume que l’on commence à ressentir, sinon de la lassitude, du moins un ennui poli devant les efforts déployés par Ellroy pour garder son lectorat captif. C’est justement là que le bât blesse, dans cette profusion de personnages (ça n’est certes pas la première fois chez lui) et cette intrigue à tiroirs, si alambiquée qu’elle en devient absconse. On l’a dit, le gars connaît le métier et le pratique comme peu d’autres, il est donc tout à fait capable de garder le cap de son récit, aussi touffu soit il. Le problème est qu’il ne nous surprend plus. Pire, la machine semble parfois tourner à vide, un moteur à plein régime dans une voiture qui peine à avancer. On n’aurait jamais pensé dire ça tant Ellroy est l’écrivain de l’excès mais il semble cette fois en faire trop. Même s’il se montre encore assez habile pour aider le lecteur à garder le fil, on ne pourra régulièrement s’empêcher de se demander où il nous emmène. La débauche d’énergie dépensée tout au long de ces 700 pages ne suffit pas à masquer sa difficulté à recentrer son récit sur un seul plan. Le choix de cette intrigue à trois volets déroute puis finit par lasser, même avec la meilleure volonté.
Certes, sexe, folie, violence, drogues, alcool et trahison ont encore le beau rôle ici. Certes, Dudley Smith, diamant noir au coeur du maelstrom, se surpasse dans l’abjection. Certes, l’honnêteté reste ici un concept fumeux, voire honteux et Ellroy excelle à nous dépeindre les relations torturées qui unissent ses protagonistes. Certes, cette noirceur qui imprègne chacune des pages de ce livre continue d’exercer le même mélange de fascination et de répulsion que l’on a pu ressentir à la lecture de ses précédents ouvrages. Et toutes les obsessions d’Ellroy sont largement présentes et exploitées ici. Mais il sera difficile de se défaire de cette impression de « trop » …
On l’aura compris, tous les ingrédients d’un bon roman de James Ellroy sont ici réunis, mais en trop grande quantité ou avec des erreurs de dosage qui en font, au final, un plat un peu lourd, indigeste. Bien sûr, on fait un peu la fine bouche, mais c’est justement parce qu’on aime Ellroy que l’on se permet d’en parler ainsi. Ces quelques défauts ne doivent pas faire oublier à quel point on a affaire ici à un grand écrivain qui n’a, depuis bien longtemps, plus rien à prouver et s’évertue pourtant à peaufiner une oeuvre déjà monumentale. L’homme est bien au-dessus de la mêlée et les quelques bémols abordés ici ne suffiront pas (pour l’instant) à le faire chuter de son piédestal. La tempête qui vient ne sera assurément pas la pièce maîtresse de ce nouveau Quatuor mais vient s’ajouter au grand oeuvre d’Ellroy, dont on attendra la suite avec moins de certitudes que l’on a pu en avoir cette fois…
Yann.
L’avis d’Aurélie :
Une tempête, c’est exactement ce qui nous tombe sur le coin de la figure quand on commence à lire ce roman. Une tempête de personnages hauts en couleurs (c’est peu de le dire), d’actions qui s’enchaînent et s’entrecroisent, de faits historiques, de débauche, de crimes…
Pour moi, lire ce nouveau texte d’Ellroy ça a été comme regarder la meilleure série de tous les temps. J’ai dévoré les trois 1ers quarts en un temps record (vous savez « allez, encore un épisode ! ») puis me suis forcée à ralentir, ne voulant pas quitter cette ambiance hallucinante trop vite.
Alors bien sûr, il faut s’accrocher, il se mérite ce roman, le lecteur doit être en mesure de pouvoir jongler entre tous les personnages (qui ont souvent en plus un ou plusieurs surnoms), toutes les situations et une intrigue complexe mais peu d’auteurs me font cet effet « wahou ». Son style est grandiose et inimitable, son scénario sort tout droit d’un esprit brillamment torturé.
J’ai terminé ma lecture avec un sourire de satisfaction aux lèvres et deux envies : voir un jour le roman adapté à l’écran et son auteur consacré Prix Nobel de littérature.
Et bravo aux traducteurs, Sophie Aslanides et Jean-Paul Gratias ! Je n’ose imaginer le temps nécessaire à accomplir un tel travail pour une oeuvre aussi riche et complexe.
Aurélie.
La tempête qui vient, James Ellroy, Rivages / Noir, 700p., 24€50.