Quelle découverte ! 1ère fois que je lis un livre de Patrice Gain.
Ne parcourant jamais les 4e de couv’, j’ai eu l’impression de pénétrer dans un de ces grands romans américains de nature writing. Comme je me fourvoyais ! L’auteur n’a nul besoin d’être comparé à d’autres, même si les premiers noms qui viennent à l’esprit sont ceux de Ron Rash ou Richard Wagamese… On découvre bien vite qu’il a son rythme et son décor propres. Il donne à son narrateur une douceur énigmatique. À 15 ans, ballotté par des flots tumultueux, aussi fragile qu’une brindille, Tom semble pourtant avoir plus de ressources en lui qu’il ne le pense.
Les rivières ne sont jamais loin, les hauteurs non plus mais ce qui colle surtout aux personnages c’est ce drame initial qui, faisant exploser sans bruit une famille atypique, la laisse ensuite désemparée, impuissante face aux épreuves qui l’attendent là-haut, à la Ferme de l’Air, un refuge qui pourrait se faire piège.
L’ambiance est sombre et j’ai vite deviné ce qui se jouait dans ces pages mais je n’en ai ressenti aucune frustration : le lecteur est le premier à savoir et il n’a ensuite qu’une envie, accompagner les personnages vers la vérité sans que ce soit trop douloureux pour eux. C’est beau un livre qui provoque une telle empathie, j’ai dû le lire en un souffle ou presque, impossible d’abandonner Tom et les autres à leurs épreuves avant le dénouement…
J’espère que ce roman sera l’une de vos premières lectures de 2020, assurément une belle façon de commencer l’année du bon pied… littéraire !
Aurélie.
Un roman à la fois lumineux et terriblement oppressant, une histoire qui vous subjugue et vous enserre au sein d’une mécanique littéraire bien huilée, voici Le sourire du Scorpion.
D’abord la nature, omniprésente, dense, parfois tempétueuse, parfois salvatrice, c’est elle qui donne le pouls, vous alerte, vous met en tension, accompagne les événements.
Patrice Gain plante un décor puis y distille une ambiance qui se ressent dès les toutes premières pages.
Nous sommes en 2006, au Monténégro. Tom nous raconte son histoire, à l’imparfait. On sait alors que quelque chose de terrible s’est produit. Comme ce genre de mauvais rêve qui vous plonge ensuite dans des pensées sombres même si tout semble beau et chaleureux… en apparence… car les souvenirs d’une ancienne guerre remontent aussi vite qu’un gilet de sauvetage dans le remous des vagues.
Tom, Luna, Mily, Alex et Goran. Une famille part en expédition dans les eaux blanches de la Tara, au sein d’un canyon profond, imposant.
Évidemment j’ai eu rapidement en mémoire l’impitoyable Délivrance de James Dickey. L’ auteur ne nous trompe pas et pose le livre dans les mains du personnage de Tom. Il y a certes un écho mais Le sourire du Scorpion garde sa puissance originale jusqu’au bout.
L ‘ennemi ne nous surplombe pas, il est beaucoup plus proche, trop proche.
Je suis donc partie dans ce roman noir qui dépeint l’âme humaine tourmentée comme un Le Greco, et la nature comme une sublimation de notre monde. C’est à la fois beau et dramatique, une tragédie à la fois contemporaine et éternelle.
Le sourire du Scorpion vous plonge dans les racines d’un mal provenant des guerres, du silence, des mensonges et de la manipulation.
Patrice Gain est un explorateur de la part sombre qui peut surgir à n’importe quel moment, vous tourmente, vous empêche de prendre un quelconque recul sur les événements afin de mieux vous assaillir.
Ici, seule la nature sait et reconnaît « les choses ».
Dès Janvier, pour frissonner en découvrant le sourire démoniaque du 🦂.
Coup au 🖤 glaçant.
Fanny.
Quelques questions à l’auteur, par Fanny (entretien réalisé par mail le 16 janvier 2020).
L’ambiance minérale, végétale, animale, prend tout de suite le pas dans votre roman. Cela rend une atmosphère qui oscille entre beauté et sentiment d’oppression. Est-ce par la nature, le lieu, que vous avez commencé à écrire Le sourire du scorpion ?
C’est le lieu qui a primé. Je voulais faire évoluer mes personnages dans un endroit fort et qui soit en adéquation avec ce que je voulais développer. Le canyon de la Tara s’est tout de suite imposé.
Qu’est-ce qui vous attache au Canyon de la Tara au Monténégro ?
Rien de particulier, si ce n’est que le parc du Durmitor est d’une beauté rare, aujourd’hui bien connu et assez fréquenté, ce qui n’était pas le cas en 2006 (début du roman), année de l’indépendance du Monténégro. Le canyon de la Tara n’avait à cette époque fait l’objet que de rares descentes. Pour ce qui me concerne, je l’ai découvert en 1984.
Rapidement, le pressentiment d’un danger sourd et imminent se glisse dans vos pages. J’ai immédiatement pensé à Délivrance de Dickey. Et ça « tombe » bien puisque vous mettez cet excellent roman dans les mains de Tom, votre personnage adolescent. Quelles sont vos sources d’inspirations… littéraires, filmographiques ou musicales d’ailleurs ?
John Steinbeck, Jack Kerouac, Jim Thompson, Kent Haruf, Jack London, Jean Giono… mais aussi Push! de Tommy Caldwell et Les conquérants de l’inutile de Lionel Terray, incontournable…
Films: Thelma et Louise, Hostile de Scoot Cooper, Free solo avec Alex Honnold…
Musiques: J.J Cale, Otis Taylor…
La naufragée, c’était le Grand Nord Canadien, Denali le Montana, Terres fauves l’Alaska. Pour Le sourire du scorpion, vous nous embarquez dans un été en Europe de l’Est. Comment s’est construite cette idée de nous balader ailleurs ?
Au moment de l’arrestation de Milorad Momic, à Lyon, je me suis demandé comment on pouvait poursuivre sa vie après l’avoir fortuitement partagée avec un bourreau. C’est ce qui a déclenché l’idée de ce roman. J’avais envie d’introspecter des personnages confrontés à cette situation, de sa genèse jusqu’à la vie d’après, ou ce qu’il en reste. J’ai lu un tas de choses sur Momic et les scorpions, visionné la fameuse cassette, pour m’immerger dans cette folie meurtrière. Dans mon texte, tout ce qui concerne le groupe paramilitaire serbe « Les scorpions » est exact. Mais la comparaison s’arrête là. Il me fallait écrire ma propre histoire.
Vous êtes un professionnel de la montagne et vous avez aussi écrit des ouvrages de randonnées dans la Vallée du Haut-Giffre, entre le lac Léman et Chamonix. Écrire est-ce pour vous comme retrouver cette sensation de l’alpiniste concentré sur sa trajectoire ?
Il y a peut-être bien un peu de ça, dans le sens ou la quête d’un objectif est parfois empreinte d’une certaine souffrance… Ecrire, comme grimper exige, pour moi, d’avoir de l’endurance (toujours) et de se faire un peu mal (parfois).
Dans Le Sourire du scorpion, il y a cette famille aimante et baroudeuse qui décide donc de se lancer dans une traversée en rafting. Et il y a ce guide, Goran, qui apparaît aussi tout de suite, dès le premier paragraphe. Puis une scène étrange et marquante où l’on aperçoit un tatouage de scorpion. Un moment qui m’a mise en alerte. Comment travaillez-vous votre roman pour que cette mise sous tension de nous lâche plus jusqu’à la toute dernière page ?
Tisser une trame psychologique est un exercice particulier. On est loin de la chasse à l’homme et de ses multiples rebondissements. Après le drame dans le canyon de la Tara, moment très dynamique, j’avance avec mes personnages pas à pas. Je garde ces moments agités et tragiques et je les adosse ( j’ai presque envie de dire « je les oppose ») aux journées béantes qu’il faut combler. Je tisse les fils ténus qui conduiront au dénouement. C’est nécessairement plus calme, plus lent, plus intrusif psychologiquement, mais il faut continuellement distiller le doute pour que le lecteur adhère. Tom, le narrateur, raconte les faits quelques années plus tard, il pose des mots d’adulte sur ces moments qui ont défait sa vie et ça donne à la narration un ton particulier.
Qu’est-ce qui vous mène à vous intéresser aux guerres de Croatie, Bosnie-Herzégovine et Kosovo ? Et parallèlement à cette question, qui est Milorad Momic alias Guy Monier ?
Je l’ai dit précédemment. Juste une info, l’arrestation d’un criminel de guerre serbe, Milorad Momic, accusé de crimes de guerre lors du génocide de Srebrenica et de Trnovo, en 1995. Il s’était fondu dans le paysage. Personne ne connaissait son passé. L’ancien membre des Scorpions habitait près de Lyon. Il avait changé de pays, de nationalité suite à son mariage avec une femme française et même de nom pour revêtir une tenue de camouflage. L’ex-milicien apparaissait sur un film réalisé par les Scorpions eux-mêmes sur les lieux du massacre de Trnovo. Je me suis inspiré de ce personnage pour créer Goran.
La nature sauvage, la sauvagerie des hommes, la disparition, la mort, la résilience sont des thèmes forts au sein de vos romans. Peut-on dire que vous êtes un auteur de roman noir ?
Oui, c’est vrai, et le prochain ne dérogera pas à la règle…
J’écris avant tout des histoires. Des histoires que j’aimerais lire. Je n’ai pas cherché, avec ce texte particulièrement, à faire du « noir » à tout crin. Mais « le noir » est un genre riche, aux idées larges… Assez larges pour englober des auteurs comme Jim Thompson, Kent Haruf, Larry Brown, mais aussi Boris Vian ou Marion Brunet. Alors oui, mille fois oui, je veux bien en être et faire partie de cette ronde…
Si à la fin de la lecture du Sourire du Scorpion, je vous dis que j’ai pensé à Ron Rash, vous me répondez quoi ?
Merci.
Pouvez-vous me dire votre livre de chevet du moment et votre prochaine ascension ?
Je viens de commencer Zébu Boy, d’Aurélie Champagne et ma prochaine ascension : une virée en ski de rando du côté du refuge de Loriaz, dans les Aiguilles Rouge
Merci Patrice Gain pour vos réponses !
Fanny.
Le sourire du scorpion, Patrice Gain, Le Mot et le Reste, 210p., 19€.