Alors que Jack l’Éventreur sévit dans les rues de Londres, Bram Stoker brave leur obscurité et s’y perd pour échapper quelques heures à l’ébullition permanente qui règne dans le théâtre du Lyceum. Bien qu’il en soit l’administrateur, il n’a guère de marge de manœuvre : Henry Irving, grand acteur et propriétaire du théâtre, lui mène la vie dure. Une solide et étrange amitié unit ces deux hommes ainsi qu’Ellen Terry, une des plus grandes actrices de l’époque.
Sur la vie privée de Bram Stoker, un voile presque pudique est posé. On le voit surtout se contorsionner dans un quotidien bien trop éreintant pour pouvoir trouver le temps nécessaire à ce qui l’habite depuis toujours : sa volonté d’écrire, devenir un auteur lu et reconnu.
Entre la tyrannie d’Henry contre laquelle il ne peut s’ériger, la relation ambiguë qu’il entretient avec Ellen, son mariage manquant de passion avec Florence, c’est le portrait tout en ombres d’un homme qui se dessine. Une vie pleine de mystères dans lesquels il puisera pour nous offrir son « Dracula » malgré tous les doutes et toutes les difficultés rencontrés en chemin.
Bravo à Carine Chichereau pour cette remarquable traduction de l’anglais (Irlande) qui nous invite avec une grande justesse à terminer le 19e s. et à commencer le 20e à Londres aux côtés de Bram comme si on y était !
Aurélie.
Le bal des ombres ou le délicieux croisement de l’art et du mystère. Voici un livre avec une ambiance tout à fait « british », je pourrais vous en parler assise sur un sofa en liberty, pieds nus sur la moquette verte, avec une tasse d’Earl Grey à la main, voyez-vous 😉 Et c’est absolument délicieux, d’autant plus qu’ O’Connor se base sur des faits réels, des personnages qui ont marqué leur époque et leur genre.
Il y avait Ellen Terry, la Sarah Bernhardt anglaise, son acolyte, le ténébreux et versatile Henry Irving et Abraham Stocker, bien avant qu’il ne connaisse la notoriété littéraire avec son -si peu n’est-il pas- connu Comte Dracula.
Nous sommes à l’époque de la reine Victoria, Jack l’éventreur pose son ombre terrifiante dans les ruelles populaires de Londres et Mira est ce fantôme errant dans la carcasse imposante du Lyceum.
J’ai plongé dans ce dédale où se croisent jeunes éphèbes, actrices libérées ou non, mécaniciens, couturières, frou-frou des tissus, bruits des machines, voix tonitruantes, petites mains, rats et chats.
Et puis là-haut, niché sous le chapeau du Théâtre, un endroit coupé des bruits et de la rumeur de la ville où Stocker aimait se réfugier, homme solitaire à la recherche d’une inspiration qui, enfin, lui ouvrirait les portes du succès littéraire.
En attendant, ce bonhomme tout de noir vêtu, en amour de son Irlandaise, insomniaque mélancolique, tenait les comptes et tirait les ficelles, supportant le tempérament lunatique d’Irving, restant sous le charme de la pétillante Ellen Terry.
C’est cela qui porte dans ce roman: O’Connor nous rapproche au plus près de ses personnages, nous fait vivre la folie créatrice des plus grand(e)s, nous embarque avec eux. Nous devenons alors témoins d’une odyssée particulière où Wilde scandalisait, où les plus démunis de la mégapole industrielle côtoyaient la lumière des quartiers chics, où Stocker, sans le savoir, tenait déjà son Comte à bout de plume lorsqu’il observait Irving.
Le bal des ombres, avec la très belle traduction de Carine Chichereau, est un bal d’époque, rempli d’énergie fantasque, d’esprits libres et de légendes véritables.
Un bonheur de lecture vous dis-je !
Fanny.
Le bal des ombres de Joseph O’Connor (traduction Carine Chichereau), Rivages, 550 p., 23€.
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