Ma première impression, à la fin de ces textes de prison, était l’émotion vive, suivie par la colère.
Colère de savoir Ahmet Altan toujours en prison pour des écrits (libéré le 04 Novembre dernier, pour y être renvoyé le 12 Novembre), la colère de voir cet écrivain et journaliste turc mis sur les bancs d’une justice fantoche, colère en se demandant pourquoi les plus influent(e)s des principaux canaux d’information n’en parlent que trop peu.
Mais ce qui prend vraiment le pas sur cette lecture, c’est ce saisissement qui m’a emporté dès les premières lignes écrites (et traduites par Julien Lapeyre de Cabanes) par Ahmet Altan.
Ce romancier, essayiste et rédacteur en chef du quotidien « Taraf », savait son arrestation prochaine, ainsi que celle de son frère.
Dans la voiture qui l’emporte à son lieu de détention, il répondra au policier qui lui propose une cigarette : « Merci, je ne fume que quand je suis tendu » et il nous raconte comment cette réponse a tout changé. Comment son corps vit l’emprisonnement, comment son esprit vagabonde, s’échappe, se nourrit, propose des réflexions, des stratégies pour continuer à « être ».
Altan s’accroche aux détails, à la position du soleil, aux bruits, aux murmures, aux livres qui ressurgissent enfin. Il nous raconte des anecdotes qui ouvrent à des réflexions : la méchanceté froide d’une infirmière, l’espièglerie ravissante d’un gang de mamies distinguées, les jugements expéditifs et pathétiques, la farce politico-judiciaire que livre Recep Tayyip Erdoğan à ses concitoyens.
Altan fait vivre en lui l’instant emprisonné, ravive sa mémoire et ses sens, résiste par sa foi en l’imaginaire.
C’est dense, beau, magistral, c’est une ode à la liberté, à la littérature et à la lutte contre l’oppresseur.
Indispensable et nécessaire.
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Fanny.
Je ne reverrai plus le monde, Ahmet Altan, Actes Sud, 215 p., 18€50.