Projet ambitieux s’il en est, la trilogie démarrée à l’automne 2018 par Frédéric Paulin avec La guerre est une ruse (Agullo) touche à sa fin avec la parution de La fabrique de la terreur. J’ai déjà eu l’occasion de dire pour Unwalkers tout le bien que je pensais des deux premier volumes et vous trouverez donc en fin de chronique un petit rappel de ce que j’avais écrit à l’époque.
Dix années ont passé depuis les attentats du World Trade Center mais le traumatisme est toujours là. Les cartes ont été rebattues et l’équilibre géopolitique mondial se fragilise sous les coups de boutoir du terrorisme islamique, crispant des populations entières dans leurs tentations identitaires. Mais l’année 2011, par le biais de soulèvements populaires au sein de plusieurs pays (Jordanie, Egypte, Yémen, Maroc), va voir se lever un vent d’émancipation dans certains pays musulmans, sous les yeux souvent ravis des occidentaux. Ce dont peu d’observateurs, à l’époque, se rendent compte, c’est que la chute des dictateurs laisse le champ libre à des partis islamistes désireux s’instaurer d’autres règles …
On retrouve ici, dix ans plus tard, Tedj et Vanessa Benlazar, Laureline Fell, Réif Arnotovic … Ils ont vieilli ou muri. Tedj, isolé en Haute-Loire, affronte un loup imaginaire, confronté à ses démons et à l’audace sans limites de sa fille dont la seule volonté semble d’être présente sur les zones de conflit afin de couvrir l’actualité. Prenant des risques qu’elle peine à mesurer, la jeune femme bousculera sans vraiment s’en rendre compte certains des protagonistes de ces affrontements…
Après s’être intéressé au parcours de Khaled Kelkal puis à la montée en puissance d’Oussama ben Laden et d’Al Qaïda, Frédéric Paulin, en abordant cette nouvelle période charnière, tourne son regard vers la Tunisie où Ennahdha se sent pousser des ailes après la fuite de Ben Ali. Mais c’est essentiellement en Libye et en Syrie que les choses vont s’accélérer pour les islamistes, une fois Khadafi évacué de la scène. Ces zones de chaos profitent aux djihadistes et c’est ainsi que naît le Califat, vers lequel partiront nombre de jeunes français. Cependant, l’auteur n’oublie pas non plus la France et revient sur l’incroyable accumulation de maladresses et d’incompétence qui permirent à Mohamed Merah de mener à bien ses funestes desseins.
Toujours aussi précis dans sa façon d’exposer les faits, Frédéric Paulin s’applique une nouvelle fois à démonter les mécanismes qui ont conduit la France (mais aussi l’Espagne, la Belgique, l’Angleterre ou l’Allemagne) à subir la violence des intégristes ces dernières années. C’est à travers le personnage de Laureline Fell qu’il met en avant l’incurie des services de renseignements français et la frustration vécue par certains agents quand ils prirent conscience de l’ampleur du fiasco. Paulin s’attarde également sur la petite ville de Lunel, surnommée « Jihad City », après qu’une vingtaine de jeunes aient rejoint les zones de combat en Irak et en Syrie, et la description qu’il livre de l’endoctrinement de ces adolescents frappe par sa justesse.
Frédéric Paulin impressionne à nouveau par sa capacité à suivre de front plusieurs trajectoires individuelles tout en les intégrant au cours de l’Histoire. Toujours clair sans être pesant, son regard offre un point de vue aussi rigoureux que global sur une période noire qui culminera dans l’horreur avec les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan en 2015. Peu soucieux de sensationnalisme, Frédéric Paulin ne s’attarde pas sur ces moments profondément gravés dans la mémoire collective et préfère s’intéresser au terreau dans lequel ces événements prirent racine.
Du Maroc à Paris, de Lunel à Benghazi, de la Libye à la Tunisie, La fabrique de la terreur couvre les terres du jihad et du terrorisme islamique et clôt brillamment la trilogie Benlazar, qui, espérons-le, vaudra à son auteur la reconnaissance qu’il mérite.
Prémices de la chute – Avril 2019
Récemment couronné par le prix des lecteurs Quais du Polar / 20 minutes et le grand prix du festival de Beaune, après le prix du meilleur polar 2018 pour Le Parisien, La guerre est une ruse voit ainsi récompensé l’énorme travail effectué par son auteur pour donner vie à son ambitieux projet de mettre en lumière les origines du djihadisme et la façon dont il a pu, au-delà de l’Algérie, parvenir en France avant de sévir à travers le monde. Ce premier volume se déroulait essentiellement en Algérie et en France entre 1992 et 1995 et s’achevait sur l’attentat de la station Saint-Michel à Paris.
Prémices de la chute s’ouvre en 1996 sur une nouvelle page avec ceux que l’on surnomma « le gang de Roubaix ». Considéré à l’époque comme relevant du grand banditisme, ce groupe ultra-violent se fait connaître par des braquages à main armée dans la région lilloise. Mais, bien au-delà du banditisme, grand ou petit, la particularité de ce gang est d’être composé en partie de jeunes français convertis à l’Islam et dont le but est de financer le djihad. Début percutant, donc, pour ce second volume avec lequel Frédéric Paulin met en scène de nouveaux personnages, parmi lesquels le lieutenant Riva Hocq ou le journaliste Arno Réif. Certains protagonistes de La guerre est une ruse réapparaissent également, au premier plan, parfois, alors qu’on ne les voyait qu’assez peu jusque là. C’est une des forces de Frédéric Paulin que d’arriver à leur donner de l’épaisseur en même temps qu’à son récit, qui va se déployer en France, en Bosnie, au Pakistan, en Afghanistan et jusque sur le sol américain puisque ce second volume se clôt sur les attentats du 11 septembre 2001.
Poursuivant son époustouflant travail documentaire, Frédéric Paulin, maintenant qu’il a donné des bases solides à sa trilogie, peut livrer un récit plus nerveux encore, plus resserré sans pour autant céder au grand spectacle. La rigueur et l’efficacité restent de mise, le texte continue de manière chronologique et inexorable et l’on a beau connaître aujourd’hui la plupart des événements dont il est question ici, l’auteur parvient sans peine à nous garder captifs. Le professeur d’histoire-géographie et le journaliste qu’il a été lui permettent de démontrer une nouvelle fois son excellente connaissance du sujet. Jamais didactique ni pesant, Prémices de la chute se situe à la croisée du roman historique et du roman noir et son véritable intérêt est d’apporter sur ces années un éclairage qui vient se refléter sur ce que nous vivons aujourd’hui encore, une actualité brûlante qui trouve souvent sa source dans cette période où le monde a basculé.
Tendu, brillant, ce second volume laisse un lecteur essoufflé assister, hagard, à l’effondrement des Twin Towers et dans l’expectative de ce dernier tome à venir, dont on espère beaucoup, confiants que nous sommes en la capacité de Frédéric Paulin de mener à bout son grand chantier, son oeuvre de témoin, qui sait l’importance de la mémoire dans un monde où on a trop tendance à ne pas lui accorder la place qu’elle mérite.
La guerre est une ruse – Octobre 2018
Ca aurait pu s’intituler Les racines du mal mais le titre était déjà pris. Dommage, ça collait plutôt pas mal. Premier auteur français publié chez l’excellente maison Agullo, Frédéric Paulin n’en n’est pas à son coup d’essai, auteur entre autres de bouquins aux titres jubilatoires, dont on ne résiste pas à l’envie de vous en citer deux ou trois : Pour une dent toute la gueule, La dignité des psychopathes ou Les cancrelats à coups de machette, ça vous donne une idée. On n’a donc pas affaire à un débutant mais le propos s’avère ici nettement moins drôlatique voire carrément sérieux car le projet est rien moins qu’ambitieux et se déclinera en trois volumes.
1992. Dans une Algérie en état d’urgence, l’armée a pris le pouvoir et mène une lutte sanglante contre les islamistes dans une atmosphère de terreur et de violence aveugle. Désireuse de voir la situation gardée sous contrôle, la France garde un oeil attentif sur la situation et, par le biais de Tedj Benlazar, agent de la DGSE, s’intéresse aux agissements des services secrets algériens qui entretiennent des relations plutôt troubles avec les islamistes. En cette période de massacres quotidiens, une question semble cruciale pour comprendre le tableau : qui instrumentalise qui ? Plongé en eaux plus que troubles, Tedj Benlazar va se retrouvé au coeur du conflit et réalisera rapidement que la vérité peut revêtir plusieurs visages.
Malgré la profusion des forces en présence, de très nombreux acronymes et une situation d’instabilité permanente , Frédéric Paulin parvient à donner une vision d’ensemble de la situation sans jamais se montrer didactique ou pompeux, privilégiant toujours le récit, soucieux d’en garder le rythme et de ne pas perdre l’attention du lecteur.
Excellemment documenté, La guerre est une ruse se lit comme un excellent roman noir et apporte un éclairage cru sur les compromis, les trahisons et les manipulations de toutes sortes qui, quelques années plus tard, allaient exporter vers l’Europe et le reste du monde une vague de terrorisme sans précédent qui n’en finit pas de faire des victimes et de rebattre les cartes des forces en présence à l’échelle planétaire.
Immédiatement prenant, ce premier volume de La guerre est une ruse donne le ton et Frédéric Paulin prouve de manière redoutable qu’il est un excellent conteur, capable de tenir ses lecteurs en haleine tout au long de ces 370 pages. La perspective de deux volumes à paraître est donc plus qu’alléchante et l’on se surprend à déjà les attendre alors que ce tome 1 vient tout juste d’arriver en librairie.
Yann.
La fabrique de la terreur, Frédéric Paulin, éditions Agullo, 343 p., 22€.