Ce n’est pas un livre, c’est une rivière souterraine qui charrie la vie terreuse, ses élans archaïques et son aventure onirique, tout en-dessous.
Ça, c’est ce qui me saute à l’œil et qui me parle au creux.
Il y a les mots, simples, humbles, choisis avec soin et qui, enfilés les uns aux autres, t’offrent un collier, une histoire juste et ciselée. Oui, voilà, c’est ça : c’est ciselé sans fioritures.
Et pour reprendre les mots que je disais hier après en avoir lu les premiers chapitres : « Quel rythme ! Chaque page est essentielle, chaque paragraphe amène, découvre, avance. Rien n’est superflu. Et pourtant il n’y a rien de dense, ce n’est pas touffu, rien d’essoufflant, de lourd. Il y a de l’errance mais jamais de désertion, aucun ennui, il y a des embûches, c’est truffé d’épreuves, et l’élan, toujours l’élan, profond, pas le saccadé excité. C’est de la crapahute avec tous les paysages qui vont avec. »
Cette femme a l’écriture incroyable. Mais comment fait-elle ?!
Et tant pis si ça sonne comme du Cabrel, elle a dû vivre toutes les vies pour savoir si bien aujourd’hui.
« Cette absence le plongeait dans une épouvante si ancienne qu’il avait l’impression d’être sorti de son corps. »
« Nous aussi, on va tomber, reprit-il. On aura des bosses et des bleus. Mais on trouvera le bon équilibre. Je crois qu’on peut s’aimer sans les mains, Hama. »
Juste avant il racontait :
« Quand j’étais petit, dit-il, un garçon du village m’avait prêté son vélo. Je m’entraînais à en faire sans les mains. Je suis tombé pas mal de fois ! Mais finalement, j’ai compris comment garder l’équilibre, et j’y suis arrivé. »
« Bo avait vu le jour dans une région sauvage, hérissée de forêts. Un pays d’herbes noires que le vent rabat sur la prairie. Où les fleuves servent de routes. Où les lacs suivent en tremblant la course des nuages. Une terre tatouée par les sabots des troupeaux, figée sous la glace de l’hiver et que chaque printemps éventre en milliers de ruisseaux. »
« Tout se paye, trancha le patron du café. Par les temps qui courent, on ne peut pas se permettre de vouloir le bonheur.
[…] Depuis l’explosion, nous avions repris nos habitudes craintives : aux grandes joies de l’existence qui s’accompagnaient aussi de grandes peines, nos esprits paresseux préféraient le confort médiocre d’une vie sans risque. »
« Un frisson monta le long de nos échines. Depuis que nous avions perdu confiance en nous, les vieilles croyances nous servaient de raisonnement et certains mots semaient la panique dans nos esprits rétrécis. »
« Nostalgiques d’un temps idéal, nous voulions le jour sans la nuit, le soleil sans l’ombre, la vie sans la mort, le désir sans le risque, et Hama sans Bo. »
« Aux vitrines des cafés, les rideaux de fer étaient baissés comme les paupières de quelqu’un qui a honte. »
Tant que nous sommes vivants, Anne-Laure Bondoux, Gallimard, 354 p., 6.90€.