Pour tout vous dire, dans l’univers du polar et du thriller, souvent une petite voix, empruntée à un chihuahua caractériel, s’empare de ma boîte crânienne, du genre « pas assez ceci, trop cela, trop facile, pas assez tenu, oui mais bon, oui mais pas fantastique non plus », vous voyez le genre.
Et là, le bon-heur, un vrai bon polar comme le chihuahua les aime. Un fond historique conséquent, ose-je dire « mordant », un commissaire qui connait son job, et reconnaît le travail de son équipe, une enquête haletante, une atmosphère électrique de bout en bout, voici Marseille 73 de Dominique Manotti.
Le contexte est dense, tu sentiras l’odeur du soufre et du sang.
Onze ans après la fin de la guerre d’Algérie, et lors du premier choc pétrolier, le gouvernement de Pierre Messmer -sous la présidence de Pompidou- adopte, face aux difficultés économiques (qui semblent éternelles…), la circulaire Marcellin-Fontanet, qui limite l’immigration en France.
De l’été à l’automne 1973, une vague de violences racistes envers les Algériens, perpétrées principalement à Grasse et Marseille, s’abat sur l’hexagone. Ces actes violents et barbares ont fait cinquante morts et plus de trois cent blessés. La sociologue Rachida Brahim a décompté seize assassinats de nord-africains, durant cette année 73, au sein de la cité phocéenne, mais la plupart des assassins n’ont pas été identifiés (sources Wikipédia et Marsactu).
Dominique Manotti n’y va pas avec le dos de la cuillère, toute militante -de gauche- et ex syndicaliste qu’elle est, cela donne donc toute la saveur à cette très -très- bonne enquête.
Nous y retrouvons le commissaire Théodore Daquin, ne t’inquiète pas, pas besoin d’avoir lu les précédents pour plonger dans cette histoire sombre, bouillonnante de vérités. Ce qui est véritablement génial dans sa construction, c’est cette atmosphère poisseuse qui te prend dès les toutes premières pages, tout y est documenté, précisé : la naissance du Front National, « la chasse à l’immigré » mené par l’Ordre Nouveau et autres nostalgiques-viandards de l’Algérie française, les anciens de l’OAS (Organisation armée secrète) aussi, souvent réintroduits dans l’appareil d’État et la police. Là, j’en suis restée comme deux ronds de flan face aux copinages nauséabonds de l’époque s’élevant à des hauteurs insoupçonnées, pauvre ignorante que je suis.
Manotti n’est pas là pour faire plaisir, en compagnie de Daquin, elle assume ses larges connaissances sur le sujet, sait où elle va et ne fait pas dans la dentelle de Karakou.
L’histoire commence avec le meurtre d’un traminot par un déséquilibré algérien puis l’exécution brutale de Malek (en mémoire de Ladj Younes), seize ans, dans les quartiers Nord de Marseille. Là, tu vis les scènes, c’est à dire que Manotti possède un regard tout à fait cinématographique, une plume vive et acérée qui t’emporte dans un univers où ripoux, enquêteurs acharnés, fascistes dégoulinants de haine, avocats avertis et bénévoles investi(e)s, se livrent une guerre sans merci.
Il est réellement jouissif à lire ce polar qui fait, hélas, écho à nos temps peu glorieux, il est donc nécessaire à lire.
« (…) La justice française nous dit que, dans ce pays, notre vie à nous ne vaut rien… Je n’ai pas envie de l’entendre. Aujourd’hui, si les policiers et les juges veulent trouver les complices de l’assassin, ils peuvent le faire. Ils ont des noms, ils ont des traces. Mais je suis sûr qu’ils ne le feront pas.(…) » déclare le père de la jeune victime.
Dominique Manotti y montre son engagement en gardant cette hargne salvatrice pour signer un nouveau polar tout en densité et en intensité.
Coup au ❤️ détonant.
Fanny.
Marseille 73, Dominique Manotti, Equinox / Les Arènes, 385 p. , 20€.
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Superbe roman d’une actualité brulante, même s’il se passe en 1973… A la fois passionnant et éducatif ! Tout à fait indispensable dans la période ! Merci pour votre chronique !
Merci à vous de nous suivre, Stéphane, et bon week-end ! Yann.