Un inoubliable Sans terre.
Après sa lecture, j’avais « juste » envie d’une balade sur l’Île d’Orléans en compagnie de Marie-Ève Sévigny , histoire de retrouver et de ressentir les lieux du « Chef », retraité de la police nationale, Gabrielle, écologiste jusqu’au-boutiste et Violette, inspectrice investie.
C’est un polar rondement mené, sortant des sentiers battus, électrique de bout en bout. J’en suis ressortie complètement enthousiaste avec l’envie de les retrouver pour une prochaine enquête, c’est pour te dire l’attachement.
Déjà, « Chef », tu le portes dans ton cœur, un briscard qui donne pour titre, à son libraire, le nom de « thérapeute », alias Marco Duchesne, dans la vraie vie, de l’indispensable librairie Pantoute à Québec.
Chef Vaillancourt a donc ses références littéraires et les trimballe le long de cette enquête qui nous plonge dans l’univers sombre des travailleurs d’Amérique du Sud, venus vendre leurs muscles, et parfois leurs âmes, aux fermes de l’Île.
C’est aussi une investigation qui va creuser dans le milieu des puissants pollueurs dont l’image est à l’image du fleuve… tranquille, jusqu’à ce que… .
Ce qui est bien avec Marie-Ève Sévigny, c’est ce ton littéraire, on la sent concernée, et parfois sur les crocs, c’est ce qui est bon, en profonde empathie avec ses personnages principaux.
Au détour d’un événement, des phrases qui claquent au vent des mots.
« (…)Vous inquiétez pas, lieutenant, rien ne viendra troubler l’ordre de votre belle cité. La sacro-sainte « majorité silencieuse » tient trop à ses emplettes du dimanche et à son café Starbucks pour mettre un politicien corrompu dans un coffre d’auto. »
Les pourris seraient toujours les pieds en éventail si des Gabrielle n’étaient pas là, qu’importe les moyens pour les déloger. Mais Chef sait ce que ce genre d’investissement porte en extrémisme et donc en dangerosité.
Sévigny te plante le décor de l’Île d’Orléans, univers à la fois terrestre et maritime, tu patauges dans la vase, tu t’en vas caresser un bon chien ou cueillir des brocolis au milieu des gars du Mexique ou du Guatemala, enchaînés à quelques dollars qui viendront, durant un petit temps, aider leur famille à survivre.
L’Île du poète Félix Leclerc, avec ses saintes et ses saints accrochés à ce caillou (Saints Laurent, François, Jean, Pierre, Sainte Pétronille ou Famille et j’en passe) est le jardin de Québec.
Au sein (cette fois-ci) de cette île fortement agricole, que les Algonquins appelaient « Minigo »qui serait une déformation du mot « Ouindigo », signifiant « ensorcelé », Chef va devoir démêler ses sentiments au milieu d’autres fils où s’entremêlent combat écologique, gangrène mafieuse, polluante Cliffline Energy et véreux Carapelli.
Ce qui est vraiment fort dans ce polar qui tient à ses références comme Lemaitre, Manchette et Benacquista, c’est l’intrigue qui ne s’embarrasse jamais de superflu. Sévigny garde sa hargne contre la corruption étatique et laisse aller le militantisme de Gabrielle sur des points divers comme le social, l’économie, l’écologie et le racisme ambiant.
Tout cela est diablement bien mené et bien écrit.
Décidément, ces auteures de polar me ravissent de plus en plus, tant leur langage n’est pas de bois.
« Tu te crois intouchable, mais même les mandarins dans ton genre finissent par se faire rattraper dans le détour. J’en ai ma claque, de vous voir promener vos masques respectables sur vos faces de voyous ! Et tu veux que je te dise? Je ne suis pas la seule ! Nous ne sommes plus capables, de vous entendre nous mentir en pleine face. »
Marie-Ève Sévigny signe là un énergique et magnétique roman policier et pas que… ce qui en donne tout le sel.
Sans terre est à découvrir et à partager. Va -chez ton thérapeute indépendant 😉 et lis-le !
Indéniable coup au ❤️
Fanny.
Sans terre, Marie-Eve Sévigny, Le Mot et le Reste, 215 p. , 19€.