J’ai découvert Patrice Gain avec Le Sourire du Scorpion, gros coup de coeur paru en début d’année aux éditions Le Mot et le Reste. J’avance maintenant à rebours dans son oeuvre, une nouvelle fois complètement séduite.
Terres fauves est un roman d’une puissance énorme. Si on ne savait pas que l’écrivain est français, on ne pourrait le deviner tant le schéma narratif et le souffle romanesque sont à la hauteur des plus grands romans américains.
David, citadin dans l’âme, traîne des pieds lorsqu’il s’agit d’aller interviewer un célèbre alpiniste en Alaska pour étayer le livre qu’il écrit pour le compte du gouverneur de New York en campagne pour sa réélection.
Outre son aversion pour l’avion et les grands espaces, il ne serait jamais parti s’il avait su ce qui l’y attendait… Après des confessions involontaires de l’apiniste sous l’emprise de l’alcool, la vie de David bascule dans un véritable enfer et il va devoir puiser en lui des ressources insoupçonnées pour faire face à ce qui l’attend.
Le rythme du roman ne fait que s’accélérer en parallèle d’une montée en tension qui rend le lecteur de plus en plus accro au fil des pages. Les situations en pleine nature sont fabuleuses et la fuite du narrateur en forme de roadtrip infernal est palpitante.
Ce livre se dévore en quelques heures et est un véritable délice !
Aurélie.
« J’ai lu quelque part : tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort. Quelle connerie. Il n’y a rien de plus mensonger. Le mec qui a écrit ça devait s’appuyer sur son expérience d’apprentissage de la bicyclette. Ce qui ne te tue pas te renvoie dans l’existence hagard, affaibli, amoindri, pétri de peurs, de doutes, conscient de la fragilité de la vie et de son altération seconde après seconde. Je lui aurais volontiers cassé la gueule pour voir quels bénéfices il en aurait tiré. Cet élan me surprenait. Je n’avais jamais ressenti un truc comme ça auparavant. Une colère sourde. »
David McCae est un écrivain qui vit à New-York. En ce moment il travaille sur les mémoires du gouverneur de l’Etat de NY. Un gouverneur qui se représente. Son éditeur l’envoie en Alaska pour rencontrer un alpiniste de renommée mondiale, un proche ami du gouverneur. Le but est de recueillir des éléments élogieux au sujet dudit homme politique. Mais l’écrivain rencontre un homme froid, odieux, qui tape allègrement dans la gourde. L’aventurier finit par se confier dans les relents d’alcool, et David entend certaines choses bien embarrassantes. Dès lors, l’écrivain va tomber de très haut et se rendre très vite compte qu’il va tout simplement devoir sauver sa peau.
Patrice Gain m’a refait le coup. J’ai ouvert son livre et je n’ai pas pu m’en éloigner plus que quelques minutes. Il m’a fait décider que tout pouvait attendre, le ménage, le potager, mes séances de sport, les chroniques de mon blog qui prenaient un sérieux retard. 255 pages qui ne manquent de rien, où on ne trouve pas un mot en trop. Un roman tendu comme un arc, mais pas une tension qui vous fait monter les pulsations cardiaques, non. C’est une tension plus insidieuse, qui s’approche comme une fièvre, un prédateur qui vous piste dans la nuit, juste une présence. Elle vous tourne autour, instaure une légère inquiétude. Puis elle passe en vous, ronge doucement, une sorte de démangeaison. Et vous vous grattez jusqu’à la fin, aucune pitié.
Dans Terres fauves, Patrice Gain a une formidable idée. Catapulter un citadin, un homme casanier, un écrivain, dans un univers hostile qui lui est totalement inconnu. Un homme affable et trop gentil, trop tendre qui se retrouve face à la Nature sans masque, impitoyable, austère, magnifique. Le grand choc. Ce face à face est extrêmement bien réussi, le choc des cultures fait des étincelles. C’est si bien écrit qu’on se prend vite de pitié pour David McCae, et parfois on a envie de lui botter le cul !
Sa psychologie est passionnante. On assiste au réveil d’un groggy par une agression qu’il pensait impossible. Au fil des pages, plus la situation empire, plus il s’enfonce. David n’est pas un aventurier, les techniques de survie lui sont étrangères, à New-York, le plus grand risque qu’il a connu, fut de traverser en dehors des clous. En Alaska, les clous sont énormes, ils portent un pelage, des crocs, et ils ont faim.
Le basculement de situation, de l’ambiance mondaine à la guerre déclarée est très bien amené. On a l’impression d’un glissement qu’on ne peut juguler, on éprouve un sentiment d’impuissance qui nous fait nous identifier malgré nous au pauvre David.
Ce qui m’a beaucoup plu aussi, c’est la transformation du caractère de David McCae au fur et à mesure. Il n’est pas très dégourdi, mais il y a une chose qu’on ne peut pas lui ôter, il sait encaisser. Ça le surprend d’ailleurs aussi. Peu à peu, il va redresser la tête, il va s’étonner, éprouver des sentiments noirs qu’il n’avait jamais senti auparavant, dans sa douce vie de citadin. L’homme reptilien prend le dessus sur l’homme de la ville. Ce combat-là, est un régal. Peut-être que le véritable ennemi de l’écrivain c’est lui-même. Ses faiblesses, ses conventions sociales, ses doutes et ses peurs. Quand l’homme est nu il n’a plus rien à perdre. Cette histoire pose une question : qu’est-ce qui fait bouger un homme face à la mort alors qu’il n’a aucune chance ? Comment fait-il pour y croire alors qu’il pense ne détenir aucun outil essentiel pour sauver sa peau.
Où naît la révolte ? Comment se matérialise-t-elle, quelle forme prend-t-elle, modifie-t-elle à jamais l’homme qu’il était ? Patrice Gain répond de manière convaincante et lettrée à ces questions fondamentales.
J’aurais dû me douter que ça allait bien se passer avec ce roman, il débute avec un exergue qui cite John Steinbeck. Et puis au cœur de l’histoire se cache un bel hommage au prix Nobel de littérature, on croise un Lennie qui m’a fait bien plaisir.
Pour emballer le tout, j’ai retrouvé cette écriture qui plaît tant. Qui fait surgir des images. Ils ne sont pas si nombreux les auteurs qui font apparaître des images en agitant des mots. Il y a la parfaite dose de lyrisme, la poésie, les intentions qui affleurent.
Page 117 : Sous la voûte de la cathédrale étoilée, je me suis senti oublié des hommes et dans l’effroi du moment, tout comme Lennie, j’ai confié mon âme à Dieu. »
L’auteur nous questionne aussi sur la portée du mensonge, sur les douloureux effets secondaires de l’imposture, sur les vieilles notes qui finissent toujours par se payer, d’une façon ou d’une autre. Rien ne se perd, tout se solde, mais pas toujours de la manière qu’on imagine, et parfois cela ne se voit pas, mais ça arrive quand-même.
Patrice Gain sait aussi décocher des flèches, il n’a pas besoin d’en faire des tonnes. Page 166, cette flèche placée dans un dialogue : Des fois, les mots, ça venge.
Les dialogues, justement, ils sont si décisifs dans un roman. Et ils sont si durs à réussir. Pour que ça sonne vrai, pas écrit, que ça colle au personnage. Dans un livre, les paroles d’un personnage équivalent à ses gestes qu’on ne voit pas.
Foncez donc dans les Terres fauves, vous n’en reviendrez pas indemne, mais vous ferez des rencontres et vous en apprendrez beaucoup sur vous-même.
Seb.
Terres fauves, Patrice Gain, Le Mot et Le Reste / Le Livre de Poche, 208 p. / 256 p. , 19€ / 7€40.