L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Fanny Z, Josèphe Viallard (Les Ardents Editeurs) – Seb
Fanny Z, Josèphe Viallard (Les Ardents Editeurs) – Seb

Fanny Z, Josèphe Viallard (Les Ardents Editeurs) – Seb

« Elle écoute le silence, cette matière fébrile, veinée de bruissements d’insectes, d’imperceptibles picotements d’oiseaux. La lumière impalpable vibre. Elle n’ose pas bouger, elle retient son souffle…ralentir cet instant, l’installer en elle. Peut-on pérenniser l’éphémère ? »

Photo : Sébastien Vidal.

Fanny Zimmer est journaliste, elle se trouvait au Moyen-Orient lorsqu’elle a vécu un évènement traumatisant, innommable. Puisant en elle, écoutant son instinct plus que sa raison, elle rentre précipitamment et file sur la terre de son enfance, celle des aïeuls, à Saint-Serein, en Corrèze. Fragilisée, un peu perdue, elle se retrouve dans la maison de sa grand-mère paternelle, Rachel. Elle connaissait peu cette grand-mère un peu distante qui avait connu la guerre, l’Occupation, la chasse aux juifs. Comme un traitement à son traumatisme, elle va pousser plus loin ses recherches pour fouiller le passé de Rachel, en apprendre plus, et peut-être, en apprendre plus sur elle-même. Bientôt, dans une armoire, elle exhume des carnets, des carnets tenus par Rachel…

Cet ouvrage, Josèphe Viallard me l’avait dédicacé en décembre 2017. Presque trois ans à patienter sur un pan de la bibliothèque, à compter les jours, les heures, les grains de poussière. Je pense qu’il existe un rendez-vous précis, un jour et une heure, un moment exact où un livre se révèle et rejoint nos mains. Pour Fanny Z ça aura mis du temps, le temps de la connexion, cette télépathie mystérieuse qui fait qu’un jour, un roman vous appelle de toutes ses forces. Quand cela arrive, nous n’avons pas d’autre choix que de tendre l’oreille, de caresser la couverture, humer les pages et puis plonger.

Je crois pouvoir dire que je n’ai pas perdu une miette de cette histoire. Il y a des choses qui restent inexplicables, et c’est mieux ainsi. Pourquoi tel livre nous parle plus que tel autre ? Les bouquins possèdent aussi leurs secrets et leurs tours de magie, laissons-les dans la pénombre, celle où se fabriquent les moments merveilleux. J’ai beaucoup aimé ce livre, je l’ai traversé comme on traverse un beau repas de famille, dans le confort des cœurs et la quiétude, conscient que ce qui est passé était savoureux et que ce qui va arriver sera une surprise à la hauteur.

Ce Fanny Z est un roman hybride. Il y a de l’historique, du policier, de l’érudition qui se mêle à une littérature frôlant celle que l’on nomme à tort « de terroir ». Ce roman est très bien équilibré, il tient tout seul, comme un grand, l’auteure nous promène sans cesse entre sa narration très stylée (stylisée ?) avec pas mal de repères culturels de tous genres, le journal tenu par Fanny, les carnets de Rachel qui dégueulent d’authenticité quand ils parlent de la solitude d’une petite fille juive cachée en Corrèze, sans nouvelles de ses parents, sentant l’animosité du chef de la famille qui l’accueille, ressentant la pression d’un étau qui se referme, rongée par l’angoisse, l’oisiveté forcée et peut-être l’amour qui rôde malgré tout quelque part dans la campagne. Il y a aussi les mails échangés avec David, son presque frère et complice, qui nous en apprennent beaucoup sur la psychologie de l’héroïne, sur les évènements, sur l’histoire chargée de la famille. Car Fanny subodore qu’un secret est resté coincé dans les strates du temps. Quelque chose qu’elle ignore mais que d’autres savent. Un non-dit qui concerne Rachel, qui a un rapport étroit avec son passage en Corrèze pendant l’Occupation.

Fanny, malgré son mal-être, s’accroche, enquête, elle s’attache même à commencer ce roman qu’elle sent pousser en elle depuis pas mal de temps. Les deux activités semblent étrangement se confondre, s’aider. La peinture sociale locale est aussi intéressante, avec ses notables, ses bourgeois, les commerçants, les paysans. Tout ce petit monde qui se farde, se contient ou se répand, évolue selon des traditions ataviques.

Ce roman est un aller-retour permanent entre passé et présent. Saint-Serein sous l’Occupation-Saint-Serein aujourd’hui. Au travers de ces deux visions d’un même village, apparaissent les évolutions et les changements… dans la continuité. Les langues sont toujours liées, il y a ce qui a été, est, sera peut-être puis ce qui se dit et ce qui se tait. Lorsque Fanny revient chez sa grand-mère, certains des protagonistes de la période 1940/1944 sont encore vivants, ils portent en eux leurs secrets et leurs fautes, comme un vieux cartable agrafé au dos… ou une étoile cousue à la veste.

Fanny Z c’est donc aussi une peinture très réussie d’un microcosme, avec ses hommes et ses femmes, et le portrait sensible et touchant d’une jeune femme qui va tenter de reconstruire son présent et son futur en trempant ses doigts dans le passé trouble.

Mené par une écriture inspirée festonnée de très beaux passages et de références en philosophie, littérature, peinture, ce roman m’a pris tout entier sans que jamais je ne croise l’ennui. Je n’ai plus qu’à me procurer le roman suivant de Josèphe Viallard, Ecrire Edith.

Seb.

Fanny Z, Josèphe Viallard, Les Ardents Editeurs, 191 p., 19€.

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