Kukum ( grand-mère en innue ) est un roman qui m’a rappelé tout de suite ce plaisir d’enfance, la lecture au coin du feu du « Royaume du Nord » de Bernard Clavel. Tout de suite, j’ai eu cette image-là, ce même bonheur, cette humilité, ce regard particulier sur la fin d’un monde, le début d’un autre, cet attachement particulier aux personnages, comme une large famille.
Le livre du petit-fils sur sa grand-mère, le livre qui oppose beauté de la nature à la violence des hommes, tout cela n’est pas nouveau mais, une plume, lorsqu’elle est sincère et authentique, fait résonner des émotions et percevoir un univers unique et sensible. Et c’est le cas pour « Kukum ».
Michel Jean, chef d’antenne, animateur, reporter d’enquête et écrivain, est issu de la communauté innue de Mashteuiatsh. Il y pose, dans ce roman, l’histoire en résonance de sa Kukum, Almanda Fortier devenue Siméon.
Juste avant le développement de ce cœur à cœur avec cette femme douée d’une forte résilience, l’auteur emprunte les mots de Joséphine Bacon tirés de ses « Bâtons à message » (éd. Mémoire d’encrier) : « Je ne me souviens pas toujours d’où je viens dans mon sommeil, mes rêves me rappellent qui je suis, jamais mes origines ne me quitteront. ». Puis tu plonges dans une histoire inspirée d’une réalité que Michel Jean met en scène pour t’accrocher l’âme à ses personnages.
Une vieille dame est assise en face de Pekuakami (lac Saint-Jean), entre la forêt et le lac, elle se remémore sa vie de jeune fille à la ferme, et ce virage déterminant qu’elle prit en tombant en amour de Thomas Siméon, jeune Montagnais de Pointe-Bleue.« J’étais jeune, bien entendu. Entourée d’êtres prisonniers de leurs terres, je découvrais quelqu’un de libre. Cela était donc possible. ». Almanda décide alors de partir en forêt tout comme elle explore le corps de son amour; c’est un chemin qui s’ouvre à eux, intense, sauvage, éprouvant, exaltant. C’était beau de suivre ses découvertes, de la voir devenir innue, de donner un sens à son existence.
Dans le style littéraire de Michel Jean il n’y a pas de fioriture, d’envolées, il fait corps avec son histoire, lui donne une consistance qui se rapproche le plus de celle qui « dit » l’histoire, d’une simplicité et d’une vérité émouvantes et gracieuses.
« J’ai compris qu’il s’agit non pas d’une langue différente, mais d’une autre manière de communiquer que le français. C’est une forme de langage adaptée à un univers où la chasse et les saisons dictent le rythme de vie. L’ordre des mots n’y a pas la même importance en français. Et il varie selon les circonstances : kun, « la neige », devient ushashush quand il s’agit de « neige folle », nekauakun pour de la « neige granuleuse » ou kassuauan si on parle de « neige humide » […]«
Tu pars alors avec Almanda, Thomas, Malek, la famille Atuk devenue Siméon, un bon vieux patronyme français, tu te mets dans leurs empreintes, tu y perçois leur monde et ce qui déjà s’achève, tu vois les résistances, les gestes ancestraux, la transmission, les coupes à blanc, l’insolence blanche, le racisme, le dédain, l’amour des siens et l’ultime violence.
Kukum rend hommage de manière vivace, te fait verser ta larme, te pose dans la beauté des bois et des lacs, te dit la simplicité éblouissante d’une vie, te chuchote la beauté innue et te rappelle à ta source première.
Coup au
Fanny.
Kukum, Michel Jean, éditions Dépaysage, 296 p. , 18€.
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