« Notre rôle ici, Keller, ce n’est pas la loi ni la justice, mais la paix sociale. A n’importe quel prix. On doit s’assurer que le couvercle est étanche et que la merde ne déborde pas. Et puis voilà : un cadavre oublié depuis quarante ans vient faire exploser toute cette belle organisation. »
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Décidément à part dans le paysage du roman noir français, Sébastien Raizer, découvert ici avec la novella 3 minutes 7 secondes (La Manufacture de Livres – 2018) a un parcours hors des sentiers battus. Fondateur des éditions du Camion Blanc, spécialisées dans la musique (puis celles du Camion Noir par la suite, autour des univers plus marginaux, voire sulfureux), il est également champion de iaido, art martial également nommé la Voie du Sabre. Résidant au Japon depuis 2014, il propose avec Les nuits rouges son huitième livre, le quatrième à la Série Noire.
Directement inspiré de son enfance dans le nord-est de la France à la fin des années 1970, en pleine crise de la sidérurgie, ce polar contemporain remet en lumière la politique ayant conduit à la fermeture des mines. De nos jours, lors des travaux d’arasement du crassier de la ville est découvert un cadavre, momifié depuis 1979. Lorsque le corps est identifié comme celui d’un ancien syndicaliste, vraisemblablement assassiné, ses deux fils, jumeaux, vont tenter de remonter le cours de l’histoire pour comprendre le passé et retrouver les responsables de la disparition de leur père, qu’ils pensaient parti avec une maîtresse alors qu’ils étaient tout jeunes. La ville connaît au même moment une vague de meurtres particulièrement violents, perpétrés au pistolet-arbalète et qui ressemblent à des règlements de compte dans le milieu du trafic de drogue.
Les nuits rouges se caractérise dès les premières pages par la consistance que Sébastien Raizer a su donner à ses personnages. Le flic albinos Faas, en particulier, impressionne le lecteur autant que le commissaire adjoint Keller récemment muté dans le secteur et la confrontation entre les deux hommes sera un des leviers du récit. Mais c’est dans sa description du contexte social que l’auteur se montre le plus convaincant ainsi que dans son analyse des décisions et compromissions qui ont fait de cette région ce qu’elle est aujourd’hui.
« Après avoir été le laboratoire de l’archétype politique, policier, médiatique et social de la performativité de la crise, la région est devenue une zone d’expérimentation d’avant-garde d’humains inutiles. Nous sommes inédits, mec. Nous ne servons strictement à rien. Pas un seul d’entre nous. Nous sommes la société du futur. Nous avons quarante ans d’avance. Mais cet aspect-là, tu n’en as rien vu. Tu ne te doutes même pas de son existence. »
Profondément désenchanté, Les nuits rouges est bien plus que le roman d’une région, c’est avant tout celui d’un monde inexorablement dévoré par la finance et la violence du capitalisme. Sébastien Raizer rend ici hommage à ces hommes et ces femmes broyés par un système dans lequel leur humanité même a été de tous temps niée. C’est aussi un excellent polar qui trouve toute sa place au sein de la Série Noire.
En complément de la lecture des Nuits rouges, vous pourrez aller consulter cet entretien passionnant publié par les collègues de Nyctalopes : c’est ici.
Yann.
Les nuits rouges, Sébastien Raizer, Gallimard – Série Noire, 283 p. , 18€.