C’est une aventure ce livre là, un roman qui te détend les zygomatiques , te rend un air de fête saupoudrée à la mode Kusturica – même si celui-ci est serbe, je sais, mais le goulasch est sans frontière.
Nous sommes à Paris, Paul Solveig est un homme éteint qui met de la poésie dans les détails du quotidien, histoire d’avoir une bonne excuse pour s’échapper de son couple et de la morosité du quotidien.
Pendant ce temps là, son robinet a cette insupportable fuite. Tu sais, cette torture ineffable du « plic ploc plic ploc plic, etc… » Paul Solveig décide alors de soulever des montagnes, ce pourrait être déjà les monts de Bohême-Moravie, et trouve un plombier, THE plombier, celui qui arrive dans les quarante-cinq minutes : Mirek Ryba.
Durant son intervention, Ryba perd une photographie représentant une beauté, qui, tu l’apprendras plus tard, vient de Blednice, petite bourgade de Moravie. Cette femme et son mystère provoquent alors une forte poussée d’expatriation chez notre Paul Solveig, portant les mêmes initiales que post-scriptum, comme histoire de rajouter un court message annexe à une lettre de rupture que vient de lui tendre sa, déjà, « ex » compagne, Pauline.
Plic, ploc.
L’eau déborde de l’évier, à défaut du vase, trop petit. Grâce à cette photographie, Paul se sauve de lui-même, ou du moins ce qu’il en reste, prend ses cliques et ses claques et décide, sur un coup de dé, de prendre la direction de la Moravie.
Intermède morave : La Moravie est une région d’Europe centrale qui goba, telle une carpe, l’actuelle Tchèquie et un large territoire autour, formant aujourd’hui la région orientale de la République tchèque. C’est la terre, entre autres, du peintre Alfons Mucha, du compositeur Gustav Mahler, du psychanalyste Sigmund Freud, de l’écrivain Milan Kundera, de l’homme d’affaires nazi Oskar Schindler, du coureur de fond Emil Zátopek et du fondateur des chaussures Bata (bah quoi?), Tomáš Baťa.
Avant de découvrir l’aventure de notre Paul, car oui, tu te l’approprieras vite fait bien fait, tu rencontreras trois amis : Pavel, Ota puis Bohumil et l’histoire de l’étrange étang des carpes-amour – car originaires du fleuve Amour –
Intermède carpes : L’espèce a largement été utilisée pour lutter contre les pullulations de végétaux favorisées par les eaux polluées provenant des engrais agricoles, des villes, des industries et de l’élevage. Miam miam.
Donc rien à voir avec Carpe Diem.
Et un jour, Pavel et Bohumil tombent à l’eau. Que reste-t-il ?
Ota, dans un sale état, forcément.
Le silence des carpes est un peu comme une comptine tout à fait slave qui te rend un mystère, à toi d’y découvrir la clé puis te laisser à rire, à gorge déployée, ému(e) tout à fait.
L’écriture de Jérôme Bonnetto donne l’âme de cette histoire installée comme des matriochkas. C’est délicieusement fantasque, remarquablement attachant, de quoi te donner envie d’aller fissa en Moravie, afin de t’attacher plus encore à ces figurants- tellement leur auteur les rend vivants – dans cette pérégrination qui te rendra tout à la fois heureux-se, mélancolique et, après quelques verres d’obscures eaux-de-vie, virevoltant(e).
Dans ce « silence des carpes », tu liras ce passage, qui m’est déjà devenu culte, sur la passion de Paul pour les pneus. Du grand art.
« (…) L’irrépressible attraction qu’exerçaient sur moi les interphones de la ville de Blednice me rappelait une autre lubie qui m’avait étreint il y a quelques années de cela – alors qu’il me fallait changer les pneus de la voiture, j’avais commencé à examiner, comme ça, tout en marchant, la marque et le type de pneus de toutes les voitures garées sur mon chemin. (…) C’était incontrôlable (…) Il faut se pencher au moins une fois sur les magnifiques arabesques tranchées dans cette chair, voûte plantaire nocturne habillée de symétries coupées de reliefs structurés en biseau qui rejoignent un léger arrondi la double rigole centrale articulée par une sorte de terre-plein rainuré de vaguelettes obliques(…. Chaque microcosme de rainure entre en résonance avec le macrocosme du pneu. Chaque marque est un monde. Chaque type est un pays. Et chaque conducteur sculpte un peu unique à sa manière de tourner, d’accélérer, de freiner sur des revêtements plus ou moins abrasifs dans des combinaisons de trajets qui racontent pour chacun une histoire originale, personnelle, irremplaçable. Comme les flocons de neige, il n’y a pas deux flocons identiques. Comme l’Homme. Comme Moïse. »
Et c’est ainsi, avec cette humeur délicieuse, que tu te baladeras dans ce mystère photographique qui t’éclairera sur toute une période de l’histoire du pays. Autour de cela, tel un kremrole, tu découvriras l’aventure de Paul, son ouverture à lui-même, aux autres, son amour pour Veselý, Míla et Antonín , avec leurs accents posés sur leur I ou Y, telles des feuilles emportées par le vent de la vie – oui, « Le silence des carpes » peut rendre lyrique.
Voici donc un roman truculent, sorte de feel-good slave aux saveurs épicées – fameuse recette du magret de canard page 165 -. « Le silence des carpes » pourrait se muer en film, cela ne m’étonnerait guère tant l’atmosphère vibrante te prend des les premières pages pour ne plus te lâcher.
Coup au cœur bondissant,
bonne lecture à toi et na zdraví !
Fanny.
Le silence des carpes, Jérôme Bonnetto, Inculte, 293 p. , 18€90.
Je suis en train de le finir, votre chronique m’avait donné envie ; j’ai eu raison de vous suivre,j’adore
Ah, c’est sympa de le signaler ! Je transmets à Fanny, ça lui fera plaisir. Bonne journée. Yann.
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