L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Pierre-Julien Marest, éditeur – Entretien – Seb
Pierre-Julien Marest, éditeur – Entretien – Seb

Pierre-Julien Marest, éditeur – Entretien – Seb

Le fondateur de Marest éditeur s’est prêté avec joie et pas mal d’humour à un entretien au cours duquel nous avons abordé la littérature bien sûr, mais aussi et surtout une bonne louche de cinéma. Interview d’un érudit du 7ème art.

Bonjour Pierre-Julien. Peux-tu te présenter en quelques lignes ?

Je suis parisien, issu des quartiers les plus bourgeois de la capitale. J’ai été éduqué chez les catholiques. Ma vie est l’histoire d’une lente conversion.

Cette passion pour le cinéma, d’où vient-elle ?

Des souvenirs d’avoir vu, très tôt, des classiques. A deux ans, Metropolis de Lang, mon premier film en salles. A 7-8 ans, je me souviens surtout de Fenêtre sur cour d’Hitchcock, de La Maison rouge de Delmer Daves, mais surtout de Pêché mortel de John Stahl. Mais, de manière générale, tout ce qui pouvait susciter chez moi une forme d’évasion était salutaire.

Marest éditeur navigue entre le cinéma et la littérature, ou plutôt fait le lien entre les deux. Cette proximité t’est-elle apparue tout de suite ou plus tard ?

Elle est apparue un peu par hasard, lors d’un pot aux éditions Rivages, où j’ai rencontré l’écrivain Luc Chomarat. Il m’a parlé d’un texte qu’il était en train d’écrire, une sorte de roman sur Ozu et Tarkovski. Ça s’appelait déjà Les dix meilleurs films de tous les temps et, apparemment, ça ne plaisait pas beaucoup, les éditeurs à qui il l’avait présenté ne comprenaient pas très bien ses chapitres de deux lignes. Bref, je lui ai donné mon mail, j’ai lu, j’ai explosé de rire plusieurs fois par page, et plus encore pour les pages de deux lignes, donc j’ai dit banco. Je démarrais tout juste, je crois qu’on a eu aucune presse, si ce n’est Kaganski dans les Inrocks, ce qui n’a pas empêché le livre de devenir assez vite culte dans les milieux cinéphiles. Succès certes plutôt confidentiel, mais amplement mérité et qui m’a amené à penser que c’était une très bonne idée, en fait, de creuser le lien entre cinéma et littérature. Après, je n’ai rien inventé, on peut considérer que P.O.L était déjà sur ce créneau etc. Mais, débuter avec Chomarat, c’était singulier, iconoclaste, à la fois sérieux et drôle. J’ai toujours eu en tête une réflexion de Pauvert, qui disait quelque chose comme : pour devenir un bon éditeur, publiez ce que les autres ne font pas. De ce point de vue, le livre de Luc était idéal.

J’ai lu que tu réalisais toutes les maquettes des livres que tu édites. Tu dis même à ce sujet que tu te mets au service du texte, que tu le mets en scène. Faut-il un regard de cinéaste pour arriver à fabriquer ces maquettes ?

Non, du tout, il faut surtout être radin. Une maquette de livre, ça peut facilement tourner à 7 euros la page, ça va vite. Je connais des éditeurs qui payent leurs graphistes avant leurs auteurs, j’ai toujours trouvé ça agaçant. De même, on m’a plusieurs fois fait comprendre que cela n’était pas très chauvin de faire imprimer mes livres à l’étranger. Mais les économies que je réalise sur ces deux postes me permettent déjà ceci : de verser des à-valoir, aussi modestes soient-ils, aux auteurs. Par ailleurs, étant donné que j’ai des coûts de fonctionnement extrêmement bas, je ne suis que très raisonnablement dépendant du succès des livres, ce qui me permet de prendre des risques. Pour en revenir à la question du regard, je pense qu’il faut surtout aimer les livres, voir les pages comme des espaces peuplés de signes et, d’une certaine manière, apprendre à les aimer tous.

Lorsque tu as entre les mains un texte à éditer, trouves-tu très vite la couverture ?

Cela dépend ; parfois, elle émane d’une proposition de l’auteur ou c’est un choix évident. A d’autres occasions, on cherche, on fait des essais, on trouve. Il n’y a qu’une seule fois où cela s’est mal passé ; j’avais fait une vingtaine de propositions à un auteur, rien ne lui convenait. J’ai fini par lui imposer un photogramme d’un film de Gérard Courant, avec qui j’avais trouvé un accord sur les droits. L’auteur n’a pas apprécié ; il a contacté le cabinet Pierrat, qui m’a affirmé que l’auteur souhaitait exercer son droit moral à l’encontre de la couverture et interdire la publication en l’état. J’ai répondu poliment que le photogramme représentait le cinéaste auquel l’essai était dédié, que je ne voyais donc pas le problème, tout en rappelant que ce choix était ma prérogative. On m’a répondu, en gros, combien ? J’ai donné un chiffre un peu au hasard. Deux jours après, j’étais payé 2000 euros pour ne pas publier un livre. Ce fut donc une opération particulièrement juteuse. 

Le logo de ta maison d’édition, on en parle ? Il m’évoque le générique de James Bond.

On me l’a dit plusieurs fois. En fait, le générique de James Bond a été conçu par Maurice Binder, qui s’est fortement inspiré de Saul Bass, auteur du générique de Vertigo. Si l’on recherche plus loin, cela pourrait renvoyer certaines séquences de Busby Berkeley et à son usage immodéré du kaléidoscope, voire à L’Homme à la caméra de Dziga Vertov. C’est Alexis Borgé qui a réalisé ce logo, je voulais quelque chose qui évoque l’œil humain et celui de la caméra.

La passion semble conduire tes actes. Il semblerait que ce soit ton admiration sans bornes pour Hitchcock qui t’ait incité à créer Marest éditeur ?

Oui, un traducteur m’avait fait part de textes d’Hitchcock inédits en français. De fil en aiguille, il m’a proposé un entretien inédit entre Warhol et Hitchcock, qui devait faire l’objet d’une publication dans la revue L’Infini. Mais j’ai trouvé ce texte tellement excitant que j’y ai vu la promesse d’un livre, qui est devenu Warhol/Hitchcock, soit l’acte de naissance de la maison.

Soyons pragmatiques. Comment parvient-on à convaincre un banquier de nous prêter de l’argent pour monter une maison d’édition en 2016 ? Faut-il qu’il soit un admirateur d’Hitchcock ?

On n’y parvient pas, à vrai dire, je n’ai même pas essayé. Dix ans auparavant, j’avais tenté le coup lors de ma première maison d’édition, pour financer la traduction des deux ouvrages de Sterling Hayden. Inutile de faire un tableau : l’acteur était inconnu et le projet bien trop hasardeux pour rentrer dans les grilles de rentabilité du conseiller bancaire. Par contre, j’ai eu la chance de percevoir un héritage à cette époque. De l’argent qui dormait depuis 20 ans dans une institution bancaire ; malheureusement pour cette dernière, une loi venait de passer, les obligeant à contacter les bénéficiaires des héritages qu’ils recelaient. Bref, une sorte d’oncle d’Amérique, qui n’était autre que ma grand-mère.

Est-ce qu’avoir pigé chez Télérama t’est utile dans ton métier d’éditeur ?

Non, pas vraiment. Le fait de travailler pour Télérama leur interdisait de parler de mes publications — une affaire de déontologie.  J’imagine qu’on doit pouvoir se dire que je bénéficie de réseaux plutôt solides, étant passé par une rédaction prestigieuse. En fait, c’est plutôt le contraire : je ne suis pas quelqu’un de très sociable, s’il y a un évènement branché à Paris, vous pouvez être assez sûr de ne pas m’y croiser et si quelqu’un m’agace, vous pouvez être certain que je ne céderai pas à la moindre hypocrisie.

Songes-tu à déléguer la diffusion-distribution ou comptes-tu garder la main dessus ? Pour quelle raison ?

Pour l’heure, je souhaite rester en auto-distribution/diffusion. La logique de distribution peut s’avérer très coûteuse ; je pense à un ouvrage où j’ai eu une mise en place de 650 exemplaires, pour un chiffre final de ventes de 170 exemplaires. Sur les 480 exemplaires invendus, j’ai dû payer un pourcentage au distributeur. Je ne parle même pas des exemplaires tirés en trop : le diffuseur m’avait conseillé d’en imprimer 2000 (soit, du sur-stockage, pour lequel je payais aussi la location de palettes chez le distributeur). Ajoutez à cela qu’une quantité non négligeable des 480 invendus avaient été retournés défectueux, et donc bons pour le pilon. N’oubliez surtout pas les frais inhérents à tel abonnement chez le distributeur, ceux de « picking » (soit, le simple fait de déplacer les livres) et vous comprendrez comment, pire que de n’avoir jamais vu la couleur d’un cent sur les 170 ventes, vous vous retrouvez à payer aussi votre distributeur et votre diffuseur (après l’auteur, le relation libraires, l’attachée de presse, la Poste etc.). Bref, je n’en dormais plus la nuit.

Donc, l’auto-distribution, c’est le paradis, après cela. Il va sans dire que mes mises en place sont bien inférieures, mais mon taux de retour a chuté. Si j’exclus les retours des années précédentes, je dois être entre 5 et 10% sur l’année dernière. Je vends moins, mais je gagne évidemment beaucoup plus. Pour ce qui est de la diffusion, je viens d’embaucher quelqu’un pour m’épauler.

Il y a un lien très fort entre le cinéma et la littérature. De tous temps, les réalisateurs ou les producteurs ont acquis des droits de romans ou nouvelles pour alimenter leur activité. Créer une maison d’édition comme la tienne est une sorte de mise en abime ?

Je ne l’ai jamais vu comme ça, mais, oui, la littérature a fréquemment servi de matière première au cinéma. Partir du cinéma pour retourner à la littérature me semble assez naturel ; exposer l’impact du cinéma sur la création contemporaine, comme le fait Sébastien Rongier dans son essai sur Psycho (d’Alfred Hitchcock), Alma a adoré, me semble réjouissant.

Ce serait drôle si quelqu’un achetait les droits d’un de tes ouvrages pour en faire un film ?

Ça serait très drôle ; ça a failli être le cas pour un essai sur la chanson chez Moretti, signé Sébastien Smirou, pour lequel une société de production avait posé une option, qui est hélas tombée. Et c’est bien dommage, nous avions déjà investi dans du Primitivo pour fêter cela.

Que ce soit en matière de littérature ou de cinéma, l’Europe et notamment la France, ont beaucoup influencé les écrivains et gens du cinéma américain. John Irving par exemple, voue une grande admiration à Flaubert, et Renoir à fait une belle carrière en Amérique. Comment expliques-tu ceci ?

C’est une question complexe. Le cinéma américain fut longtemps d’essence européenne. Pour ne citer que quelques réalisateurs nés en Europe qui ont fait carrière à Hollywood : Joseph von Stenberg, Eric Von Stroheim, Charles Chaplin, Alfred Hitchcock, Fritz Lang, Billy Wilder, Otto Preminger… Même parmi les producteurs légendaires d’autrefois, Samuel Goldwyn est né en Pologne, Jack Warner au Canada, Louis B. Mayer à Minsk. Les liens avec l’Europe et sa culture sont nombreux.

Le Mot et le Reste, un autre éditeur, présente un profil similaire à celui de Marest éditeur. Une programmation hybride entre musiques et littérature. Ta maison est plus jeune de vingt ans, mais cela semble démontrer que les arts se tiennent plus la main que certains voudraient le croire et que les gens sont plus curieux qu’on ne le pense. N’est-ce pas justement le rôle premier d’un éditeur de proposer non pas ce que le public aime, mais ce qu’il pourrait aimer ?

Je suis entièrement d’accord avec ce point de vue ; il ne faut jamais aller dans le sens du public, mais chercher à le surprendre, à le rendre curieux. C’est presque une question d’ordre politique ; je crois que c’est au lecteur d’aller vers le livre, et non le contraire. À espérer aller dans le sens du public, d’une littérature qu’il pourrait consommer sans effort, on ne fait qu’une chose : participer à son abêtissement.

Depuis quelques années, le cinéma américain semble tomber dans la facilité et ne produire que pour gagner toujours plus d’argent, preuve en sont les affligeants films de supers héros qui ne sont ni faits ni à faire et se ressemblent presque tous. Malgré cela, il existe un cinéma créatif, comme au festival Sundance, piloté par Robert Redford. Le salut viendra-t-il de là ou du public ? T’inscris-tu dans cette démarche de creuser dans la qualité ?

Je pense que le salut viendra de l’offre, et non de la demande. C’est aux producteurs, comme aux éditeurs, de maintenir un certain niveau, de ne pas aller dans le sens du vent. En tant que lecteur, j’ai horreur des phrases toutes faites, des livres qui ne reposent que sur une intrigue. Le style me semble aussi important que le fond.  Je n’espère qu’une seule chose, pour ce qui de l’état actuel du cinéma : que le système s’essouffle, que les spectateurs se lassent définitivement des productions Marvel et consorts, qu’on puisse enfin respirer.

J’ai découvert Marest éditeur grâce au livre de Didier da Silva, Le Dormeur. C’est incroyable de constater qu’un homme tel que Pascal Aubier (dont parle le livre) qui a carrément révolutionné la technique du cinéma soit inconnu du grand public. C’est aussi ça Marest éditeur, rendre une sorte de justice ?

Je n’ai jamais conçu cela comme une forme de justice, mais plutôt une révélation. Dès la première page de ce livre, j’ai été emballé ; le monde auquel l’auteur faisait référence me parlait entièrement. Et, perdu au milieu de ce monde, un cinéaste fabuleux dont j’ignorais tout : Pascal Aubier. Après l’avoir accepté ce texte, je me sentais plus proche d’un zélote soucieux de partager la bonne nouvelle de cette découverte, que d’un justicier.

Je suis assez fasciné par le doublage. Que ce soit au cinéma ou dans les séries télé. La France excelle depuis longtemps dans cet exercice. Nous venons d’ailleurs de perdre une pointure en la personne de Jacques Frantz. Si quelqu’un te propose un ouvrage sur ce sujet, tu dresses l’oreille ?

Pas sûr, avec tout le respect que je dois aux doubleurs. Je ne regarde jamais les films qu’en version originale, car je suis très sensible aux voix, et je pars du principe qu’un réalisateur digne de ce nom dirige tout autant les corps de ses interprètes que leur diction, leurs intonations. Je ne parle pas un traître mot de japonais, mais Akira Kurosawa, pour moi, c’est aussi la voix Toshiro Mifune, un peu comme l’est celle de Wayne chez Ford. Ce sont des films que je ne pourrais pas, je pense, voir doublés en français. Mais, une histoire des doubleurs français, ou, qui sait, un polar où un doubleur voix rêverait de tuer une vedette américaine dans l’espoir un peu fou de prendre sa place sur le silver screen, qui sait ?

Quels sont les projets de Marest éditeur ?

Hum, c’est confidentiel. Mais, outre un fantôme japonais, Doillon, Fleischer, et Fincher, on devrait bientôt parler de musique, et puis de punk aussi, et du Greco, évidemment et enfin de Cayatte, de Madame Bennett, de Jeanne Roques aussi, et encore de fantômes, et sans oublier les années 1970…

Avant le clap de fin, autre chose à dire ?

Euh, elle était bonne ? On la garde ?

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