L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Podcastmaker, Richard Gaitet au travail – Gaëlle
Podcastmaker, Richard Gaitet au travail – Gaëlle

Podcastmaker, Richard Gaitet au travail – Gaëlle

Ça ne t’aura pas échappé, depuis un an quasi tout rond « sévit » sur les ondes webiennes une « émission » – une conversation en fait – qui nous régale les papilles auditives.
C’est Bookmakers, c’est sur Arte Radio, en partenariat avec Babelio, c’est une fois par mois et c’est Richard Gaitet aux manettes.

Illustration Sylvain Cabot / Arte Radio

Richard Gaitet est ce journaliste facétieux, critique littéraire, qui a imaginé et animé pendant 9 ans la feue Nova Book Box (réjouissant juke-box littéraire),  qui a imaginé et coordonne L’Arche de Nova (anciennement Le monde d’après), utopies poétiques pour futurs désirables, où « chaque jour, en trois minutes, un.e écrivain.e, vidéaste, cinéaste, philosophe, musicien.ne, plasticien.ne, …, monte sur le pont pour transmettre sa vision de la société de demain, le temps d’une note vocale très sérieuse ou complètement délirante », qui a cofondé  le non-moins facétieux, foutraque et farfelu Prix de la page 111 (dont tu pourras trouver d’édifiantes statistiques ici, mais ne nous éparpillons pas et revenons à nos brebis).
Il est l’auteur de trois romans : Les heures pâles (sous le pseudonyme de Gabriel Robinson), Découvrez Mykonos hors saison, L’Aimant -roman magnétique d’aventures marines, parus aux éditions Intervalles, et deux récits documentaires :  Tête en l’air et Rimbaud Warriors, aux éditions Paulsen, dont il parle ici, ici et ici, chez Mandor.
Bref un homme lettré de lettres et d’espièglerie.

« C’est quoi, le style ? Comment construire une intrigue, un personnage ? Où couper ? Making of des romans et essais qui ont marqué leur époque, Bookmakers écoute les plus grands écrivains détailler leurs secrets de cuisine, raconter la façon dont s’est construit, petit à petit, l’un de leurs livres emblématiques. À partir de l’idée, l’étincelle initiale, puis avec les recherches, la discipline, les obstacles, les conseils, le découragement, les coups de collier, la solitude, le dernier jour, la première phrase, les relectures, le rôle de l’éditeur, le fric, l’accueil critique et public ou encore le regard sur le texte des années plus tard. Tout ça pour contrer le mythe de l’inspiration divine qui saisirait les auteurs au petit matin chantant et pour se rappeler qu’avant tout, l’écriture, c’est un métier, un artisanat. »

Ce sont les premières phrases du premier épisode de Bookmakers.
Curieux, on a écouté, puis réécouté, et réécouté encore. On a trouvé ça simple, instructif, intéressant, humble, sérieux, sincère, vrai. On a aimé désosser les carrosseries, soulever les capots, démonter les moteurs, avoir une idée du goût du cambouis. Tout ça avec bonheur. On a eu envie de lire ou de relire les auteurs et les autrices. Surtout, ça nous a rendus terrrrriblement curieux : un podcast pareil, ça se tricote comment ?
Généreux, Richard Gaitet nous a raconté.
Immense merci à lui !

Podcastmaker, Richard Gaitet au travail.

Qui es-tu Richard Gaitet ? D’où viens-tu ?

Cette question est si vaste ! D’où viens-je, mais à quel niveau : géographique, éducatif, métaphysique ? Faut-il compter les vies antérieures ? Et les dimensions parallèles alors ?
Bonjour. Pour résumer, je suis journaliste et écrivain, né à Lyon en 1981 – c’est aussi dans cette ville que j’ai suivi des études de journalisme, pas terribles, mais qui m’ont permis de décrocher des stages longue durée dans des rédactions, où j’ai eu la chance d’être par la suite intégré comme pigiste (Le Progrès, Lyon Capitale, puis Technikart, raison pour laquelle je suis monté à Paris en 2004). Ajoutons que j’ai codirigé pendant huit ans la rédaction d’un remarquable magazine trimestriel de culture et de mode, national et indépendant, intitulé Standard. (Il en subsiste des traces ici)

Ce magazine « jeune et poli » sur papier glacé n’était pas énormément lu, mais quand même un peu pris au sérieux par le milieu. Par exemple, au printemps 2011, j’ai reçu un coup de fil de Radio Nova, qui me proposait de chroniquer des films à l’antenne. Quatre mois plus tard, son directeur des programmes me confiait un créneau horaire, de nuit, pour animer ma propre émission, Nova Book Box, un « juke-box littéraire » quotidien, du lundi au jeudi. Cela dura neuf ans. (Toute cette histoire fut racontée lors de « l’enterrement » de l’émission, enregistré en public, en juillet 2020)

Pour plus de renseignements, je vous recommande également, euh, de lire mon mon premier roman, Les Heures pâles, publié en 2013 aux éditions Intervalles – sous le pseudonyme de « Gabriel Robinson », ce qui est encore une autre histoire.

Comment est venue cette idée de Bookmakers ?

Il faut m’imaginer au comptoir du Vauban, cet hôtel légendaire de Brest, aux alentours de minuit, un samedi soir de février 2018, abordé par les deux réalisateurs d’Arte Radio : Samuel Hirsch et Arnaud Forest, qui sont invités comme moi au festival Longueur d’ondes. On ne se connaît pas, mais on se tombe tous les trois dans les bras. Surprise, de taille : ces deux fabuleux créateurs sonores écoutent mon émission depuis plusieurs années et me soufflent qu’un jour, si j’ai envie de proposer des choses à Arte Radio, c’est possible. Dans le train du retour, le hasard me place en face du fondateur du studio, Silvain Gire. On discute longtemps. Une grosse année plus tard, mon émission sur Nova s’arrête, alors je lui écris et on se voit.

Bookmakers  a un grand frère : Beatmakers, un podcast diffusé sur Arte Radio et créé par David Commeillas et Samuel Hirsch, qui écoutent des producteurs de tubes décortiquer leurs morceaux les plus célèbres. Comprendre les rouages d’une idée, la discipline qu’il a fallu pour la mener à son terme, la part de chance et d’imprévu, tout ceci m’a toujours intéressé. Silvain me dit qu’il est tout à fait disposé à m’accueillir en tant qu’auteur au sein de l’équipe, mais qu’il me faut un projet de podcast, quoi. A l’été 2019, je lui propose quatre ou cinq idées, dont une déclinaison littéraire de Beatmakers. Celle-ci est retenue.

Illustration Mathieu Choinet / Arte Radio

Avec Silvain, nous tombons d’accord sur plusieurs partis pris. D’abord, ce podcast sera un endroit où on parlera presque uniquement du travail des auteur.e.s. jusqu’au niveau de la phrase, ce qui n’existe pas trop, en France. Ensuite, la plupart des invité.e.s seront rencontré.e.s en dehors du cadre promotionnel, qui plombe l’essentiel du discours sur la littérature ; on pourra revenir, bien sûr, sur le dernier livre publié, mais seulement dans la façon dont celui-ci vient confirmer ou infirmer le processus habituel, s’il ouvre de nouvelles perspectives dans l’œuvre, et de manière marginale. Enfin, au cours de l’interview, la question de l’argent, de l’à-valoir, des ventes et des droits d’auteurs, qui fait aussi partie des conditions de travail de l’artiste, sera abordée en détails.

Silvain me laisse entièrement carte blanche sur la programmation des invité.e.s et l’organisation des entretiens. Mais, toutefois, pour « lancer » le programme, il me demande de commencer par inviter, parmi les auteur.e.s que j’aime, des écrivain.e.s connu.e.s, dont l’œuvre contient au moins un succès. Les trois premiers que je contacte, et qui acceptent, sont Philippe Jaenada, Alice Zeniter et Delphine de Vigan.

Quelles sont tes influences ?

Mes influences en termes de grands entretiens littéraires sont maigres : il y a, un peu, ceux de la Paris Review, aux Etats-Unis, dont certains ont été traduits et rassemblés en recueils aux éditions Christian Bourgois, mais je ne les ai jamais lus en entier. J’ai chez moi deux numéros de la revue Décapage, qui propose à chaque fois de découvrir la « panoplie » d’un écrivain, sur une trentaine de pages, de manière assez précise. Mais c’est tout, je dois dire. C’était déjà le cas en arrivant chez Nova : je n’avais quasiment jamais fait de radio, je n’en écoutais quasiment pas, je n’avais pas de bons ou de mauvais réflexes…. J’apprends en faisant.

(J’ai déjà eu l’occasion, sur Nova, avant Bookmakers, de me livrer à des entretiens assez fouillés avec des artistes sur leur mode opératoire. J’ai simplement développé, approfondi cette facette.)

Comment a été reçue cette idée d’émission par les écrivains que tu as sollicités, avant que le premier épisode ne fût diffusé ? Et comment réagissent les écrivain.e.s que tu contactes maintenant que le podcast est connu  ?

L’idée est toujours très bien reçue, je crois. Les espaces où les artistes peuvent parler en profondeur de leur travail ne sont pas si fréquents. Ajoutons à cela la qualité des réalisations Arte Radio, le soin apporté à leur voix et leurs textes, c’est plutôt agréable – même si l’exercice demande un certain engagement de leur part : l’entretien original dure entre trois et quatre heures, au total.

Quels retours as-tu eus de tes invité.e.s ? Du monde de l’édition ? Est-ce qu’on te sollicite ?

Les retours des invité.e.s. sont bons. Jamais ils ou elles n’ont voulu écouter le montage avant – ce que je refuserais de toute façon. Les retours du monde de l’édition sont également statisfaisants. Aucun.e écrivain.e ne m’a jusqu’ici sollicité, ce qui serait embarrassant (« Cher Richard, que diriez-vous de m’interviewer pendant quatre heures ? »). Deux attaché.e.s de presse m’ont suggéré des noms, et ça tombe bien : c’est leur métier. Aucun directeur ou directrice d’édition ne m’a contacté, et je dois dire que je préfère.

De l’étincelle initiale à la structure telle qu’on la connaît, quels chemins as-tu explorés ?

La structure, la longueur : tout est arrivé au montage. Silvain souhaitait au départ un seul épisode de quarante minutes, qui lui paraissait, c’est vrai, être une durée pas trop effrayante pour un nouveau podcast littéraire. J’ai dit qu’il me paraissait impossible d’obtenir de la profondeur, une étude dense de l’œuvre et de l’artiste en si peu de temps. Une heure était mon minimum. Une heure et demi très souhaitable… Mais cela dépendait, bien sûr, de ce que j’allais obtenir. Nous avons fait deux séances d’enregistrement avec Philippe Jaenada, pour un total de trois heures de rushes, environ. Avec Sara Monimart (prise de son, montage) et Samuel Hirsch (réalisation, mixage, musiques originales), nous avons ramené ça à quatre-vingt-dix minutes. La question du découpage en épisodes s’est ensuite posée, et la réponse la plus naturelle était de faire des séquences d’une trentaine de minutes, plus digestes et moins effrayantes, oui, pour celles et ceux qui ne connaissent pas l’auteur.e, qui n’écoutent peut-être pas beaucoup de podcasts, que l’idée d’un programme littéraire n’excitent guère, etc.

Évidemment, certains épisodes ont dépassé deux heures, parce que la matière nous semblait captivante. L’épisode le plus long (Nicolas Mathieu, 2h15) n’a cependant pas vocation à devenir un horizon. C’est la longueur maximum, au-delà de laquelle nous n’aurons plus assez de temps pour maintenir une qualité de production sur les délais impartis.

La matière récoltée prime sur l’organisation et la durée de l’épisode, même si j’en ai déjà une idée assez avancée en préparant l’entretien, en identifiant les grandes « lignes » de la vie et l’œuvre de l’invité.e.

[Tristan Garcia, avec 2h08 découpées en 4 épisodes, est le second invité le plus « long »-NDLR]

Comment choisis-tu les écrivains avec lesquels tu t’entretiens ?

Je n’invite que des artistes dont l’œuvre, d’une façon ou d’une autre, m’intéresse, me touche et me remue. Je ne veux, je ne dois me forcer à rien. Si je n’y crois pas, cela s’entendra, et préparer l’interview m’apparaîtra comme une corvée. Cependant, devoir porter mon choix sur une œuvre différente toutes les quatre semaines m’oblige, et c’est heureux, à élargir le spectre de mes goûts, à « creuser » l’œuvre de quelqu’un dont je n’avais peut-être lu qu’un seul roman ; si l’émotion perdure, l’invitation est lancée. Je me fixe ensuite deux contraintes : alterner, autant que possible, les hommes et les femmes, les jeunes et les moins jeunes, les genres et les parcours, pour assurer une assez grande « représentativité » de la littérature francophone contemporaine. Mais ce souhait théorique se heurte parfois aux disponibilités des auteur.e.s, ainsi qu’à ma connaissance d’une œuvre encore trop modeste (ma connaissance, pas l’œuvre, hein) pour lancer une invitation…

Dany LaferrièreIll. Sylvain Cabot / Arte Radio

Comment as-tu choisi quel serait le premier d’entre tous ?

J’ai choisi Philippe Jaenada pour deux raisons : je connais très bien son œuvre, et comme c’est aussi un ami, c’était plus simple pour une première, moins de pression.

Illustration Sylvain Cabot / Arte Radio

Comment est-ce que tu organises la phase de documentation ?

Relire l’œuvre en intégralité, c’est souvent impossible – sauf si l’auteur.e est encore au début de sa carrière, avec deux ou trois romans seulement, comme Nicolas Mathieu. (Et encore, il doit me rester une nouvelle ou deux que je n’ai pas réussi à trouver avant l’entretien.) J’essaye de lire le plus possible, dans le temps de préparation dont je dispose : entre deux et trois semaines. Je rassemble donc en priorité ce qui semblent être les trois, quatre, cinq livres les plus importants, je cherche aussi toujours le « premier livre », puis, en fonction de la longueur et de la complexité de ceux-ci, je récolte au passage des nouvelles, des contes, des poèmes, des articles. Voici pour la phase « artistique ».
Arrive ensuite la phase « médiatique », qui consiste, pendant trois jours, à lire et à écouter tout ce que l’écrivain.e a déclaré sur son œuvre ces quinze ou vingt dernières années, tout ce qu’Internet peut me donner. Je ratiboise Google jusqu’à la dernière page, la plus petite interview ! « En passant », je rassemble tout ce qui m’intrigue et m’intéresse. En cherchant bien, on trouve toujours des trucs inédits, de très bonnes histoires que la personne n’a racontées qu’une seule fois à un blogueur breton en mai 2001…

Comment est-ce que tu établis ton « chemin de fer » ?

J’établis d’abord de grandes lignes : temporelles, biographiques, thématiques. La naissance de la vocation, le désossage complet d’un livre en particulier, les conseils de l’éditeur/éditrice, les conditions de vie… J’en fais des blocs. Ensuite je soigne les transitions, la manière de poser la question.

Tu es toi-même écrivain, en quoi est-ce que cette connaissance de l’intérieur te « sert » ?

Énormément, en permanence. Étant moi-même « du métier », il y a des choses que je comprends et des choses que je ne comprends pas, dans leur façon d’écrire, d’inventer, de vivre. À chaque fois que j’écris, je me pose une partie des questions qui les animent, alors je vois très bien les choix qu’ils/elles font, la façon dont ils/elles règlent certains problèmes, etc.

On sent les écrivain.e.s à l’aise, en confiance, concentré.e.s et intéressé.e.s, prompt.e.s à répondre. Est-ce que vous vous connaissez déjà ? Comment prépares-tu l’entretien avec eux ?

Je ne prépare rien en amont avec eux, je ne les préviens de rien, nous n’avons aucun échange mis à part pour fixer le jour et l’heure du rendez-vous. Parfois, je les ai déjà rencontré.e.s dans le passé pour une interview. Parfois, c’est notre première rencontre. Je ne les avertis jamais des passages qu’ils/elles auront à lire, à commenter. Quand je souhaite entendre le commentaire d’une page, je leur lis d’abord le passage en question.

Y a-t-il des questions que tu écartes en cours d’entretien, d’autres qui s’improvisent ? Et s’il t’arrive au pré-montage d’avoir de nouvelles questions, as-tu la possibilité de réaliser un entretien court par la suite pour compléter ?

Oui, oui, oui, comme dans toute interview. Mais j’évite de faire revenir les auteur.e.s. Je mise plutôt sur le matériel récolté.

Avec tact et délicatesse, et sans jamais de voyeurisme, tu te permets d’aborder parfois, parce que c’est nécessaire pour saisir la construction de l’auteur.trice ou l’élaboration du texte, des « morceaux » de vie délicats (ce fut particulièrement le cas avec Chloé Delaume ou Pierre Jourde). Tu les préviens en amont quand c’est le cas ?

Je ne préviens jamais. Je fais confiance à la situation.

En combien de fois s’enregistre l’entretien ?

Il n’y a qu’un seul enregistrement, sauf pour Philippe Jaenada et Alice Zeniter, car j’avais mal calculé la durée et l’épaisseur de la matière à récolter.

Où se passent les enregistrements ?

Toujours en studio, à Arte, pour des conditions de son optimales. Sauf pour Philippe Jaenada et Alice Zeniter, car nous avons d’abord pensé que ce serait mieux, « utile », d’être proches de leur bibliothèque, de leur bureau ; or, ça n’apporte strictement rien au résultat final, et ça augmente considérablement le risque de parasites sonores. On ne mesure jamais assez le bruit d’un radiateur ou d’un frigo.

C’est une question que se pose aussi Seb ici  : tu laisses toute sa place à ton interlocuteur.trice, tes questions sont précises, et ils.elles peuvent prendre le temps d’y répondre. C’est intuitif, spontané et conscient, travaillé, recherché ?

C’est indispensable, spontané, intuitif et conscient. C’est presque la raison pour laquelle je suis journaliste : écouter. Cela demande du temps. Parfois, la réponse à la question se trouve dans le silence qui suit la réponse.

Comment as-tu trouvé ou travaillé ta voix ? Quelles sont tes influences ?

En dix ans de radio sur Nova (où je travaille toujours), j’ai eu le temps de me demander comment placer ma voix, comment m’en servir, avec ou sans emphase, avec humour et sérieux en même temps. Travailler le rythme, le souffle, le dosage, les effets. Pour Bookmakers, j’essaye d’être le plus naturel possible, mais une sorte de naturel arrangé, « un peu mieux », dans le bon tempo. Sobre. Chez moi, en amont, je répète seulement les questions « difficiles », liées aux moments de vie compliqués, aux drames, ou les idées complexes. J’apprends à « ne pas trop en faire », à m’effacer derrière l’invité.e. (Je coupe d’ailleurs souvent mes questions et interventions au montage, pour ne garder que celles qui servent la conversation.) En termes d’influences vocales, je pense parfois à Antoine de Caunes, dont j’aime le ton poli, vif, jamais loin de la marrade.

Les épisodes #1 commencent quasi toujours par une lecture de l’invité.e. C’est toi qui choisis le texte, ce sont les invités qui le proposent ?

Je choisis tout. Je propose et si j’ai de la chance, l’invité.e accepte.

Selon les épisodes, tu es ou non le seul lecteur à voix haute. Comment fais-tu ce choix ?

Parfois, j’estime que je n’ai pas « la bonne émotion », le ton juste, la voix adéquate, pour lire les extraits à voix haute. Notamment pour les œuvres où les narratrices sont des femmes. Dans ce cas, nous réfléchissons avec Samuel aux comédien.ne.s que nous pourrions contacter. Nous faisons aussi appel, souvent, aux voix qui passent par les studios d’Arte Radio.

Est-ce que ça a modifié ta façon de lire lorsque tu lis, pour la première fois, un livre d’un.e écrivain.e que tu pourrais recevoir ?

Oui, inévitablement. Je lis souvent avec un œil un peu « technique », je regarde « comment c’est fait », et surtout si je suis ému, embarqué.

Est-ce que tu peux nous présenter l’équipe avec laquelle tu construis Bookmakers, et nous parler du rôle de chacun.e ?

Sara Monimart réalise la prise de son, avec une très grande attention au moindre mot. Elle veille aussi à ce qu’aucun bruit extérieur ne vienne parasiter, ne serait-ce une seconde, la conversation : une page qui se tourne, un scooter qui passe, la climatisation qui s’enclenche… Lola Lafon nous a fait savoir que la profondeur des prises de voix du podcast lui rappelait celles qu’on entend en général sur des albums de musique.
Sara est aussi la première auditrice de l’interview et sait intervenir si quelque chose n’est pas clair, ou n’a pas été « pleinement » raconté. Sans elle, par exemple, nous n’aurions jamais obtenu l’histoire du jeune Dany Laferrière, ouvrier à Montréal, qui décapite des vaches à l’abattoir ! On parlait de ses années de galère, mais j’avais tout bêtement oublié de demander quel était son poste exact.
Une fois l’entretien terminé, elle m’envoie l’enregistrement intégral. Je réécoute et sélectionne (sur Word !) les passages importants, les place dans le bon ordre. Sara effectue un prémontage selon mes indications, en commençant déjà à « nettoyer » la conversation de ses très nombreuses hésitations et parasites sonores.
Ensuite, nous écoutons avec Samuel [Hirsch] ce prémontage, épisode par épisode. Une première écoute lui sert à découvrir le matériel et la personne ; une seconde écoute nous permet de retirer ensemble tout ce qui est superflu, brouillon, répétitif, jusqu’au plus petit « euh ». Une fois que nous avons les trois épisodes « impeccables » sur le plan éditorial, je cherche les textes manquants « pour lectures », je les enregistre avec ou sans les comédiens, puis Samuel passe deux à trois jours à habiller, mixer, composer les musiques. Pendant ce temps, j’écris les micros introductifs pour chaque épisode, que j’enregistre le dernier jour, avec parfois quelques questions à refaire, pour des histoires de son ou de clarté.

Pour une présentation complète de l’équipe : j’ajoute Charlie Marcelet, qui réalise le podcast quand Samuel n’est pas libre (il a signé les épisodes avec Chloé Delaume, Marie Desplechin, et le prochain, avec Sylvain Prudhomme), Chloé Assous-Plunian pour toute son aide à l’organisation des enregistrements, Stella Defeyder et Jennifer Anyoh pour les réseaux, mon très vieil ami dessinateur Sylvain Cabot pour les portraits des invité.e.s, et l’assistant du studio, Jules Benveniste, pour être capable, par exemple, de récupérer en PDF « avant-mardi-prochain » tel deuxième roman épuisé sorti en 1988 chez un éditeur ayant mis la clé sous la porte.

Samuel Hirsch réalise et crée l’habillage musical du podcast. À quel moment lui fournis-tu le matériau ?

Samuel découvre tout lors de notre semaine de travail. Il effectue ensuite ses propres recherches dans la pénombre mystérieuse de son grand laboratoire.
Ce qui en sort chaque mois, me bluffe et me réjouit. Ses créations sonores, comme celles de Charlie Marcelet, leur art de la « mise en scène » – le travail sur la moindre respiration, le retrait du plus petit « euh », le choix du bon son, du bruit le plus subtil, curieux, inattendu, sans parler du groove ou du tranchant des musiques originales – sont d’une extraordinaire méticulosité, portée par un vrai souci de clarté, de profondeur, d’invention et d’accessibilité. (J’ajoute qu’ils sont tous les deux très marrants, ce qui rend les journées de travail plutôt agréables.)

Depuis trois émissions vous invitez un musicien à réinterpréter le générique à la fin de l’émission, comment vous est venue cette (chouette) idée ?

C’est une idée de Sam (inspirée par la série The Wire, qui confiait son générique à un musicien différent à chaque saison), qui pioche allégrement parmi ses ami.e.s musicien.ne.s, en variant d’un instrument à l’autre.

Richard Gaitet et Samuel Hirsch – photo Arnaud Forest

Est-ce qu’on peut parler d’argent ? (Pardon je n’ai pas pu m’empêcher). Est-ce qu’on peut demander à combien se chiffre le budget d’une « émission » ?

Je touche environ 1600 euros nets par mois pour la fabrication de ce podcast, peu importe sa durée : cela comprend la préparation, l’enregistrement, le montage, la post-production. Mais je ne pourrais rien faire sans Sara et Samuel (ou Charlie), donc leurs salaires (que j’ignore) sont à inclure au budget général du podcast.

Et peut-on parler d’autres chiffres ? Arriverais-tu à chiffrer le nombre d’heures de travail que te demande la fabrication d’une émission de 3 épisodes ?

C’est très difficile à dire. Trois semaines de boulot, en tout ? Il y a deux semaines de documentation, trois jours de préparation de l’interview, quatre heures d’enregistrement, vingt-cinq heures de prémontage, trois jours de réécoute pour arriver au montage définitif, une journée d’écriture, puis une demi-journée de réécoute du montage final « tout habillé », pour relever les erreurs, les doutes, que Samuel corrige avant la mise en ligne.

Enfin, quel est le son qui correspond le mieux à ce podcast ? Un morceau de musique, par exemple ?

Le morceau idéal, pour moi, c’est ce rap faussement parodique absolument parfait. L’artiste s’appelle D’mite et/ou Bomani Armah.

Y a-t-il des choses qui n’ont pas été abordées ici et que tu voudrais éclairer ?

J’aimerais savoir comment furent construites les pyramides d’Egypte. Et pourquoi, en plein sommeil, quand je rêve à quelque chose allongé sur le côté droit, pourquoi cette chose disparaît de mon esprit quand je m’allonge du côté gauche. Pouvez-vous m’aider ?

Merci Richard Gaitet et happy premier anniversaire Bookmakers ! Longue vie à toi !

Par ordre d’apparition dans nos oreilles (clique sur le nom pour accéder au podcast) : Philippe Jaenada, Alice Zeniter, Delphine de Vigan, Tristan Garcia, Chloé Delaume, Dany Laferrière, Lola Lafon, Nicolas Mathieu, Marie Desplechin et Pierre Jourde. A venir… Sylvain Prudhomme.

Bookmakers existe aussi en version Youtube et sur ta plateforme de podcast préférée (Apple Podcasts, Deezer, Google Podcasts, Spotify)

Post-Scriptum : On en parle ailleurs ! Au cœur de la fabrique des livres, Le Monde et dans Téléramaici dans L’Humanité et dans La Libre Belgique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

En savoir plus sur Aire(s) Libre(s)

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading