Le genre d’histoire qui résonne durant longtemps, te remuant par vagues même après sa lecture.
Dans ce roman, l’odeur du Taffy – mélange de sirop de maïs, de lait concentré et de vanille – mêlé au goût iodé de l’océan, rencontre, plus au Nord, la chaude saveur du sirop d’érable. Au sein de cet arôme sucré-salé, tout un monde s’entrechoque puis se disloque. Faire les sucres est un roman de l’intime rayant allègrement le vernis des apparences.
Adam et Marion sont un beau couple, sans compter leur réussite professionnelle. Adam est un chef qui investit, possède sa propre émission culinaire à succès. Sur le plan affectif, rien ne l’excite plus lorsque sa jeune compagne, dentiste accomplie, fait preuve d’une mansuétude exceptionnelle envers autrui : ne pas heurter, ne pas blesser, Marion soigne les dents et les égos.
Un jour, en compagnie d’un couple d’amis, ils se rendent sur l’île de Martha’s Vineyard, située dans l’état du Massachusetts, connue comme résidence d’été de la haute bourgeoisie américaine et de ses présidents.
Un accident a alors lieu. Celia Smith, troisième génération tenant âprement la boutique « Clara’s Salt Water Taffy », est percutée violemment par la planche de surf d’un Adam inexpérimenté et paniqué.
« On lui racontera à l’hôpital qu’elle a alors perdu connaissance, la douleur sûrement, mais qu’elle a hurlé quand les ambulanciers l’ont placée sur une civière. Dans l’ennui infini qui peuplera ses semaines de convalescence, elle repensera souvent à ce hurlement dont elle ne se souvient pas. Elle se demandera s’il a été entendu au-delà de la plage de Lucy Vincent, plus loin que ces bateaux de pêche au large, jusqu’aux rives sauvages et interdites de Nantucket, où son écho aurait fait trembler les services à thé des dames réunies sur leurs galeries majestueuses pour régner sur le monde, à l’abri de tout. »
Fanny Britt te raconte brillamment la résonance de cette onde de choc, en prenant ces vagues qui pourraient être aussi un bel hommage à celles de l’auteure anglaise, Virginia Woolf, nous faisant écouter par différentes « voix », ce concept brûlant d’individualité et de conscience.
L’auteure québécoise prend ce moment infime pour en faire un élément de basculement déterminant.
Tu lis donc ce couple proche d’une perfection toute capitaliste, dans cette splendeur qu’ils croient éternelle. Cette vague va tout remettre en cause, laissant éclater des vérités : l’égoïsme d’Adam, leur petit confort, la colère rentrée de Marion, comme, finalement, de nombreuses femmes de ce roman où les héroïnes reprennent toutes comme un certain pouvoir, chacune à leur manière.
Celia, elle, est de cette jeunesse malmenée qui perçoit l’abrutissement – et l’anéantissement – du monde. Fanny Britt fait de ce jeune personnage, la caisse de résonance de cette fureur face à ce monde blanc multipliant les privilèges en se préoccupant uniquement de son – forcément – joli nombril.
Alors, presque qu’évidemment, lorsque tout se délite, une bonne cabane à sucre pourrait être la solution, l’illusion d’un territoire qui sent bon l’érable et le feu de bois. Adam s’enfonce ainsi dans son songe d’acériculteur, moi avec; c’est si facilement doux et protecteur cette délicatesse sucrée face à une tragédie intime, et, ma foi, si minimaliste.
Et tu continues, avide, tu empoignes cette galerie de personnages attachants, désespérants, rebelles, soumis(e)s à des injonctions, passionné(e)s, perdu(e)s.
Qui est-on vraiment ? C’est la question qui perce entre les lignes de ce roman exaltant.
L’un s’enfonce dans le sucre, apprend d’une autre réalité, l’autre fait tourner sa fraise, tandis qu’une autre reconnaît sa force. Au milieu de ces trois là, tout un monde virevolte, faisant craquer le vernis des convenances si souvent trompeuses et illusoires.
Une sacrée orchestration, un beau sens du rythme, des personnages truculents tracés sous une plume piquante et intelligente, j’ai comme eu un gros coup au cœur pour ce Faire les sucres .
Tu l’auras compris, il serait vraiment dommage de passer à côté de cette merveille.
Fanny.
Faire les sucres, Fanny Britt, Le Cheval d’Août, 256 p. , 27€95.