Après les magnétiques Hiver à Sokcho et Les billes du Pachinko , Élisa Shua Dusapin nous plonge une nouvelle fois dans son monde, fait d’intimité, de solitude et d’onirisme. L’histoire, le style, l’ambiance, tout y est en parfait osmose.
Te voilà aussi embarqué(e) et emporte ta chapka car te voilà rendu(e) aux frontières de la Chine et de la Corée du Nord, au sein de cette immense ville portuaire russe.
Avec cette écriture qui te dit si bien le déséquilibre des choses de la vie, la jeune auteure franco-suisse te plonge dans ce cirque hors-saison. Par le prisme de Nathalie, jeune costumière, Élisa Shua Dusapin nous montre le chemin si fragile et si tangent de la création.
Notre protagoniste arrive dans ce lieu, un peu déboussolée par ce monde et par la dislocation de sa vie amoureuse aussi, pour y faire connaissance d’Anton, l’ancien, le plus aguerri et plus silencieux, Nino, le plus jeune des porteurs, celui qui stabilise le trio, et Anna, la sauvage voltigeuse.
Le monde tourne alors autour de ce chapiteau.
Vladivostok Circus te chuchote à l’oreille l’envers d’un décor que l’on ne peut connaître que par les regards des personnages, leurs mystères, l’équilibre de leurs forces. Comme eux, Nathalie crée, se trompe, comprend, réinvente et nous livre quelques bribes de leur intimité.
Anton, Nino, Anna traversent des mises en scène exprimant leurs émotions de l’instant. Il y a du flottement, de l’incertitude, le retour du passé, de certaines douleurs, et, cahin-caha, vivre le présent comme ils, et elles, le peuvent.
Lire cette fragilité et cette douceur est vraiment beau, comme si Élisa Shua Dusapin souhaitait nous laisser, dans son écriture, voix au chapitre.
« Je commence à faire ma valise. Je retrouve des sachets de bonbons que j’ai achetés pour en offrir. Ça me détend. À mon âge, on ramène du vin, du fromage (…)En me dirigeant vers le réfectoire, j’entends Anna qui respire à travers le mur. Inspiration, expiration. Vaste amplitude, à peine ébranlée par les secousses au contact de la barre. Ils font des réglages. Le volume s’amplifie. Le souffle monte. Comme s’ils voulaient sortir de la piste, atteindre le dôme, le gonfler, faire s’envoler le cirque tout entier. »
Dans cette histoire singulière se glissent quelques lettres écrites de Nathalie vers son père, comme un rappel contre l’oubli, la solitude, la maigre trace de nos destinées. Le cœur palpitant tu continues la lecture de plus en plus proche d’eux, comme si toi aussi tu allais participer à ce concours international d’ Oulan-Oude, comme si tu essayais aussi ces costumes, comme si tu t’effrayais aussi de la réalisation de cette figure inédite, et donc dangereuse.
L’équilibre se prend, se perd, tu chutes, te redresses, un peu, beaucoup, pas du tout, tu vis l’histoire.
Vladivostok Circus est ce genre de livre visuel où l’on retient son souffle, où l’on voit ces corps tendus par l’exercice sur barre, les textiles qui épousent la lumière, les regards du quatuor, leur imperfection, leur beauté. Et c’est tout un talent.
Coup au voltigeant.
Fanny.
Vladivostok Circus, Élisa Shua Dusapin, Zoé, 176 p. , 16€50.