La Transparence selon Irina avait été une découverte choc pour moi voici deux ans. J’en avais parlé ici. Quand Benjamin m’a annoncé travailler sur un roman se déroulant une trentaine d’années auparavant et menant à la société si brillamment décrite dans son précédent livre, j’ai ressenti une grande impatience mais également une légère appréhension : allais-je retrouver l’emballement que j’avais connu ?
Il ne m’a fallu que quelques pages pour me sentir à nouveau délicieusement entourée par les mots et les personnages de l’auteur. Une nouvelle fois je me suis dit que sa plume avait un petit côté magique et apportait une belle touche d’originalité et de peps au paysage éditorial français actuel.
Son point de départ : en 2025, le cyber affrontement entre masculinistes et féministes a pris tellement d’ampleur qu’une brigade spéciale a été créée pour y faire face. Au début du roman, tout semble clair et facilement identifiable, d’un côté se tiennent les méchants harceleurs et de l’autre les gentils qui essayent de se battre pour que leurs valeurs triomphent.
Pourtant, le lecteur est bien vite entraîné dans l’intimité de Simon, Iris, Yvan, Tristan, Manon et les autres, découvrant page après page la complexité de situations et d’interactions souvent toxiques. Alors que politique et nouvelles technologies deviennent de moins en moins dissociables, les enjeux personnels et les idéaux rêvés s’entrecroisent dangereusement. Plus on avance dans le livre, plus il nous semble entendre le tic tac annonçant l’explosion imminente d’une bombe prête à faire d’énorme dégâts. La structure est parfaite et j’arrive rarement à la fin d’un roman en la trouvant si réussie.
Benjamin Fogel ne tombe jamais dans la facilité, il tient droite sa ligne et nous confronte à des sujets passionnants. La place de l’anonymat dans nos sociétés modernes, les extrémismes de tous bords, la solitude, la difficulté à fonder un couple et à le voir perdurer, l’importance qu’on donne à l’image qu’on renvoie à autrui…
A travers la surdité de Manon et le soudain acouphène de Simon dans un microcosme où la musique a une importance essentielle, il interroge également notre rapport au son et la difficile intégration dans la société telle qu’on la connaît quand on est différent.
Voilà une découverte littéraire époustouflante à ne surtout pas manquer !
Aurélie.
Le Silence selon Manon, Benjamin Fogel, Rivages / Noir, 343 p. , 20€.