L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Shangrila, Malcolm Knox (Asphalte) – Yann
Shangrila, Malcolm Knox (Asphalte) – Yann

Shangrila, Malcolm Knox (Asphalte) – Yann

Publié une première fois en 2012, réédité en 2019 et réimprimé cette année, Shangrila a beau être un titre-phare du très bon catalogue Asphalte, force est de reconnaître qu’on était jusque-là passé complètement à côté. Ça tombe bien, voilà un roman qui a toute sa place dans nos chroniques estivales puisqu’il y est question de surf. Je vois bien l’étincelle de doute et d’inquiétude qui s’allume d’un coup au fond de quelques paires d’yeux et m’empresse donc de vous rassurer : si Shangrila est effectivement un roman qui se déroule dans le monde du surf, il faut avant tout le voir comme un grand texte autour de l’ambition, de la célébrité et de leur corollaire, la solitude. Plus encore, il constitue une plongée fascinante dans les méandres d’un cerveau malade, celui de Dennis Keith, alias DK, cinquante-huit ans, ancien champion du monde de surf, qui vit reclus avec sa mère dans un village de retraités quelque part sur les côtes australiennes.

« Tu t’es calé contre le mur en stuc pour ouvrir le robinet de la douche, tu commençais à redescendre. Un attroupement autour de toi, devaient bien être des milliers. À applaudir, à prendre des photos. Genre comme si toi DK, t’étais une espèce de singe. Comme si toute ta vie avait été une attraction de fête foraine, héroïsme athlétisme folie exploitation tragédie amour haine vie mort humanité nature, et tout ça rien que pour eux. Comme si t’étais pour eux. »

Englué dans une routine qui l’aide à garder le peu d’équilibre qu’il lui reste, bourré de troubles obsessionnels et de manies, un brin paranoïaque, quelque peu schizophrène, Dennis Keith voit sa retraite chamboulée lorsque arrive chez lui une jeune journaliste qui désire écrire la biographie de l’ancien champion pour le compte du magazine Surfer. D’abord farouchement opposé à ce projet, DK, forcé de se replonger dans ses souvenirs, va voir sa conviction vaciller et finir par se remémorer une vie de surf et de triomphes à travers le monde. Mais une autre réalité se dessine au fur et à mesure que se déroule le fil de ses souvenirs, loin, bien loin de cette trajectoire fulgurante dont se souviennent ses fans aujourd’hui encore.

Le surfeur Michael Peterson, dont la vie a inspiré celle de DK à Malcolm Knox – Martin Tullemans.

Qu’on se le dise tout de suite, autant oublier ici les Beach Boys et cette imagerie clinquante autour du surf et de ceux qui le pratiquent. Après quelques pages en apnée dans le cerveau de DK, une fois assimilés le fonctionnement de celui-ci et son étrange façon de s’exprimer, le lecteur va suivre le parcours exceptionnel et chaotique de ce prodige du surf, entre entraînements acharnés et petits miracles, entre extase et chaos, entre amour et haine. Le destin de DK, enfant abandonné puis recueilli par une famille qui ne se décidera jamais à faire les démarches nécessaires pour régulariser sa situation, son destin sera à la mesure de ce départ pour le moins bancal dans la vie. Inextricable de celle de Rod, son frère adoptif, la vie de DK ne sera finalement qu’une succession de (très) hauts et de (très) bas, un chemin chaotique semé de triomphes et de désastres, d’amour et de trahisons, naviguant sans cesse entre génie et folie.

De la triomphale fin des sixties à son inexorable déclin durant les années 70 et 80, Shangrila repose entièrement, on l’aura compris, sur ce personnage fou et génial qu’est Dennis Keith, mégalomane et cinglé, « génie naturel », pas franchement sympathique au demeurant, égocentrique incapable de se confronter à la vie en dehors du surf, misanthrope inadapté à toute forme de vie sociale. Malcolm Knox, en plus d’avoir créé une langue à la hauteur de son personnage (un coup de chapeau en passant à la traduction inspirée de Patricia Barbe-Girault), réussit à trouver un rythme et un souffle qui nous laissent sans voix après 500 pages dans la tête de DK.

Michael Peterson à la fin de sa vie – Crédit non trouvé.

Shangrila pourra sans doute être perçu comme une ode au surf et au dépassement de soi mais j’y ai plutôt vu une tragédie cruelle où les moments de grâce ne suffisent pas à effacer les errements et les faiblesses d’un esprit malade. Quoi qu’il en soit, on tient ici un roman marquant dont on comprendra aisément qu’il soit considéré comme culte par la plupart de celles et ceux qui l’ont lu. « DK vit ».

« Sauf que c’était pas ce que tu faisais. T’étais pas une oeuvre d’art. T’étais pas ça. T’avais fait nada. T’avais juste réussi à survivre, jour après jour. T’étais rien de tout ça. T’étais juste toi. Pourquoi ils peuvent pas me laisser tranquille ? »

Un excellent entretien avec Malcolm Knox mené par Bernard Strainchamps pour La Cause Littéraire est disponible ici.

Traduit de l’anglais (Australie) par Patricia Barbe-Girault.

Yann.

Shangrila, Malcolm Knox, Asphalte, 493 p. , 22€.

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