« Mon père avait une expression quand quelque chose tournait mal. Il disait que ça partait à l’ouest. Mais partir à l’ouest m’avait toujours fait envie, à moi. Après tout, la course du soleil le mène à l’ouest. Et pour ce que je sais de l’histoire, les gens sont partis s’installer à l’ouest pour gagner leur liberté. Mais notre monde était parti au nord, très au nord, à un point que je découvrais peu à peu. »
C’est une bonne idée qu’ont eue les éditions Zulma de rééditer ce roman paru initialement chez Plon, dans la collection Feux Croisés, en 2010. Son auteur, Marcel Theroux, en aurait trouvé l’inspiration lors d’un entretien avec une survivante de la catastrophe de Tchernobyl. Également influencé par plusieurs reportages qu’il avait effectués à l’époque en Ukraine, au coeur de la « zone interdite », Au nord du monde est aujourd’hui présenté comme un western post-apocalyptique, étiquette qui, à tout prendre, ne lui colle pas si mal.
Quelque part au nord du monde, donc, entre steppes et taïga, Makepeace survit au coeur d’une ville fantôme, patrouillant inlassablement dans les rues désertées de cette cité qui l’a vue grandir. Sa rencontre avec Ping, jeune femme enceinte, va bouleverser son quotidien et lui redonner momentanément foi en l’humanité. Mais, plus encore que cette amitié aussi forte que fugace, c’est l’apparition d’un avion dans le ciel qui va définitivement tirer Makepeace de sa vie de recluse et la précipiter loin de chez elle, là où quelques représentants de l’espèce humaine auraient survécu et conservé toutes les connaissances et les progrès acquis au cours de l’histoire de l’humanité. Ce monde d’avant, balayé par le réchauffement climatique, doit avoir subsisté quelque part et c’est portée par l’espoir de le trouver que Makepeace se met en route. Mais rien, bien sûr ne se déroulera comme prévu.
Dans ce Grand Nord sibérien qui fit un temps figure de pays de cocagne lorsque l’Homme fuyait les ravages dûs au réchauffement, des villes sont nées, des communautés se sont créés mais tout s’est peu à peu dégradé et ce nouvel Éden a vu ses habitants se battre, puis fuir ou mourir. Vraisemblablement marqué, voire obsédé, par la catastrophe de Tchernobyl, Marcel Theroux en a tiré un roman dont l’étrange beauté résonne avec un pessimisme certain, comme la conviction que l’homme, finalement, n’est capable que de s’auto-détruire après avoir ravagé le monde qui l’entoure.
Le parcours de Makepeace, entre séjour au sein d’une communauté religieuse et internement dans un camp de travail, la mène jusqu’aux vestiges d’une ville irradiée dont quelques hommes essaient d’extraire les dernières ressources en y envoyant des prisonniers.
« On était là, à un jour de marche de la Zone, prêts à voler à la terre souillée les choses qu’on n’avait plus l’intelligence ni les moyens de produire. Et une fois épuisées les ressources de la Zone, on aurait de la chance de se retrouver dans la peau de ce môme, traquant des animaux empoisonnés dans une forêt qu’on ne serait plus capables de nommer. »
Western post-apocalyptique, road trip sibérien, texte sombre et lumineux à la fois, Au nord du monde est un (très) bon livre mais il lui manque ce je ne sais quoi de profondeur ou d’empathie qui en ferait un grand livre, de ceux qui nous marquent durablement. Il n’en reste pas moins un texte à découvrir sans hésiter qui offre un dépaysement assuré et à la lecture duquel on ne s’ennuie pas une seconde, ce qui, quand on y réfléchit, est déjà beaucoup dans une époque où la médiocrité semble parfois servir de socle commun à pas mal d’auteurs.
« Ma vie n’avait même pas valeur de souffrance. C’était une longue farce cruelle que le vent avait écrite sur de la neige. »
Yann.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Stéphane Roques.
Au nord du monde, Marcel Theroux, Zulma, 397 p. , 20€.