L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Pour que je m’aime encore, Maryam Madjidi (Le nouvel Attila) – Gaëlle
Pour que je m’aime encore, Maryam Madjidi (Le nouvel Attila) – Gaëlle

Pour que je m’aime encore, Maryam Madjidi (Le nouvel Attila) – Gaëlle

Photo : Gaëlle Desliens.

Elle est drôle Maryam, vraiment.
Elle attaque direct : « Adolescente, j’étais franchement laide. »
Et de te raconter ses déboires pileux en tous genres.

«  J’avais gagné le surnom de Barre de shit, en plus de celui de Washing-Machine. Ce long sourcil épais et noir ressemblait à une barre de shit collée au milieu du front. Chaque fois que je montais dans la navette du collège, tout le monde m’appelait ainsi : « Eh ! Y a Barre de shit qui monte dans le bus. »
Toutefois, le mono-sourcil n’était rien à côté d’un autre trait typique des Iraniennes : la moustache.
Ma moustache, cette bande de duvet sombre disgracieux entre mon nez et ma bouche était apparue à l’âge de 8 ans. Lorsque nous avons quitté Paris et que je suis arrivée à l’école Roger-Salengro, j’avais presque 10 ans et elle était devenue plus sombre, plus imposante, le duvet se changeait en une véritable moustache de jeune garçon prépubère.
À l’âge où j’étais censée me transformer en femme, je voyais se dessiner de plus en plus nettement ce symbole de la masculinité au milieu de mon visage.
Dans la cour de récré en primaire, on m’appelait « femme à moustache ». Ou tout simplement « moustache ». Ce qui était pire, car on m’avait ôté mon sexe, je n’étais plus qu’une moustache. »

Évidemment on rit ou on sourit, évidemment on se rappelle, on est passé par la case ado nous aussi, hein ?
Évidemment, ce n’est pas que drôle.
En filigrane, les difficultés et les douleurs de l’intégration.
A triple motif :
Devenir femme, vivre occidentale, choper l’ascenseur social.
Quand tu es iranienne, banlieusarde, sans les codes scolaires pour les hautes études.
Ce serait presque une gageure, n’est-il pas ?

Pour le dire autrement :
Comment tu t’intègres à la vie de femme, désirée et désirante (et poilue donc) quand tu n’es pas considérée comme jolie ?
Comment tu t’intègres aux codes occidentaux quand tu es née iranienne et vis dans et avec ta famille iranienne ?
Comment tu t’intègres à la vie bourgeoise et parisienne quand tu es banlieusarde de peu d’argent ?
Comment tu intègres de la vie à ta vie quand tout n’est que désœuvrement autour de toi ?
Comment tu t’intègres à la bourgeoisie scolaire quand tu n’as pas les codes ?
(Tiens, ça fait cinq. Cinq « motifs ».)

Et toujours cette question, ces essais : comment tu funambules pour t’intégrer sans renier ce qui te fait, ton origine, tes poils, tes rêves ? Comment s’intégrer sans se fuir ?
Grandir, nettoyer les paillettes dans les yeux, trier, garder les siennes à soi, prendre des latérales, s’affranchir, se retrouver et tracer sa route. La sienne.

Il y a le ton, espiègle, qui t’embarque à son côté, tout de suite. Tu lui mettrais volontiers un petit émoji cœur solidaire à chaque page. D’où que tu viennes, quoi que tu aies vécu.

Il y a aussi ses yeux qui se posent sur ce qu’elle croise, fréquente, habite, les douleurs des autres, et qu’elle raconte.

«  Des fous, il y en avait plein à Drancy. À l’instar des Guerriers vaincus devenus fous, d’autres personnages croisés dans cette ville avaient, pour une raison que j’ignorais, vrillé, lâché les rênes du réel pour s’embarquer dans un monde opaque dont ils étaient les seuls à connaître les lois. Les rues monotones aux pavillons sagement alignés, la vie ralentie, les réverbères qui n’éclairent que les rues vides de piétons la nuit, les saisons qui défilent sans modifier la ville, les restos qui ferment tôt, les cafés sans vie à la déco surannée où ça sent le renfermé et la bière, l’immuable et le silence ou ce qu’on appelle le traumatisme de l’absence d’événements avaient façonné jour après jour ces êtres bizarres. La matrice drancéenne avaient enfanté des fous.
Chaque fois que je tombais sur le faux chauffeur du bus 148, qui allait de Bobigny au Blanc-Mesnil, je ressentais une peur bleue. »

Alors, tu vois, c’est drôle mais pas que. Ça parle d’elle mais pas que. Ça part d’elle et ça parle de plein d’entre nous. Ça dit notre société.

Je raconte tout ça, il m’aurait suffi, en fait, de te recopier la quatrième de couverture. Que je trouve, pour la première fois depuis longtemps, particulièrement juste. Regarde :

Quand j’ai refermé le bouquin, lu d’une traite, je me suis dit « punaise, c’est vachement bien ». Et non, je ne me suis pas mise à chanter du Céline Dion.
(Pour que tu m’aimes encooooooore)(ça y est, tu l’as dans la tête ?)

Gaëlle.

Pour que je m’aime encore, Maryam Madjidi, Le nouvel Attila, 212 p., 18€,

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