« Mon fils était un univers de poche dont je n’atteindrais jamais le fond. Chacun de nous est une expérience en soi, et nous ne savons même pas ce qu’elle est censée tester. »
Personne, je crois, n’entremêle science et poésie avec autant de talent que Richard Powers. Personne ne parvient à restituer avec autant de force cette fascination pour la vie dans toutes ses manifestations. Personne, non plus, ne me paraît capable d’un tel pessimisme quant à l’avenir de notre planète et celui de notre espèce.
Chacune des affirmations précédentes peut être niée, bien sûr. Mais, et ça j’en suis sûr, personne n’arrive, comme Richard Powers, à faire ressentir simultanément ces émotions si contradictoires au sein d’un même livre. Sans paraître incohérent. En restant convaincant à chacune de ses phrases. Et c’est un des miracle de ce Sidérations qui nous est proposé trois ans après le triomphe mérité de L’Arbre-monde (Le Cherche-Midi et 10/18 – 2018/2019).
« Face à la ruine qu’était globalement le monde, une empathie accrue entraînait une souffrance plus profonde. La vraie question, ce n’était pas pourquoi Robin dégringolait. C’était pourquoi nous restions, nous autres, si absurdement optimistes. »
Après la mort de sa femme, Theo Byrne, astrobiologiste, doit s’occuper de leur fils, Robin, qui souffre de troubles du comportement et rencontre de graves difficultés dans son école. Lorsqu’un neurologue lui propose d’intégrer Robin à un programme en cours, Theo accepte en désespoir de cause. Les résultats vont s’avérer au-delà de tous les espoirs mais les États-Unis sont au bord du chaos politique et le Président au pouvoir coupe les fonds à de nombreux chercheurs pendant que le dérèglement climatique s’amplifie partout dans le monde.
« La Terre abritait deux sortes de gens : ceux qui étaient capables de faire les calculs et de croire la science, et ceux qui préféraient leurs propres vérités. Mais dans le quotidien de nos coeurs, nous vivions tous comme si demain devait être le clone d’aujourd’hui. »
Saisissant parfaitement l’ambiance chaotique qui régnait dans son pays sous la gouvernance de Donald Trump (qui n’est ici jamais cité), Richard Powers met en scène un pays au bord de l’implosion. Lui que l’on sait depuis longtemps féru de sciences illustre la sidération et la colère des chercheurs lorsque leurs budgets sont supprimés et les expériences en cours brutalement stoppées. À cette débâcle politique et scientifique vient s’ajouter un dérèglement climatique hors de contrôle dont les retombées les plus directes contribuent à déstabiliser le jeune Robin qui décidera de mener le combat et de faire entendre sa voix.
Mais c’est par le biais de Robin et de sa relation avec son père que l’auteur américain touche au coeur, offrant ici les pages les plus touchantes qu’il ait pu écrire. Sidérations est avant tout un splendide et saisissant roman d’amour, l’attachement inconditionnel d’un père pour son fils, une relation sur laquelle plane l’ombre bienveillante d’Aly, mère et épouse adorée trop tôt disparue. Sans jamais tomber dans la mièvrerie, Richard Powers parvient à émouvoir tout en assénant quelques coups bien sentis sur l’homme et ce qu’il a fait de la Terre. Cet inexplicable cocktail de colère, d’amour, de célébration de la vie et de pessimisme total offre un des romans les plus marquants, sans doute, de cette rentrée littéraire. Rarement intelligence et émotion se seront aussi bien mêlées et l’on se souviendra longtemps du destin de Robin Byrne.
« Neuf ans, c’est l’âge du grand tournant. Peut-être le genre humain est-il un enfant de neuf ans : pas encore mûr, mais déjà moins gamin. Raisonnable en apparence, mais toujours au bord d’une crise de rage. »
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Serge Chauvin.
Yann.
Sidérations, Richard Powers, Actes Sud, 391 p. , 23€.
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