L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Ne reste que l’aube, Thierry Murat (Futuropolis) – Yann
Ne reste que l’aube, Thierry Murat (Futuropolis) – Yann

Ne reste que l’aube, Thierry Murat (Futuropolis) – Yann

Jouissant d’un indéniable succès critique, récompensé par une dizaine de prix ces dernières années, Thierry Murat reste un auteur étonnamment discret qui semble cultiver une certaine forme de misanthropie que ne viendra sûrement pas atténuer Ne reste que l’aube, son sixième album chez Futuropolis. Après Animabilis (2018) qui nous avait laissés plutôt sceptiques, voire désemparés, il livre ici un récit plus accessible, sans toutefois renoncer à une certaine radicalité puisque le ton en est profondément désenchanté et la lumière quasiment absente.

Stockholm, dans un avenir indéterminé mais que l’on devine plutôt proche. Jørgen Nyberg vit au 153ème étage d’un immeuble, entouré des oeuvres géantes auxquelles il consacre ses nuits. Né en 1485 dans un village de Toscane, il traverse les siècles en se tenant autant que possible à l’écart de ses semblables. Dans ce monde où le Workin’glass, sorte de d’émanation future de nos réseaux sociaux actuels, est la seule source officielle d’informations, le mystère Nyberg intrigue et dérange. Niels, jeune étudiant en art, fasciné par l’oeuvre du peintre, va venir le rencontrer dans son antre au-dessus de la ville.

En se penchant à son tour sur l’inusable mythe du Vampire, Thierry Murat se donne l’occasion de régler ses comptes avec une société pour laquelle il n’éprouve manifestement que du mépris, au point de faire prononcer à Nyberg cette sentence définitive :

« Dans mon inhumanité, je me sens souvent plus humain que ce troupeau de cloportes qui rampent au pied de ma tour, 153 étages plus bas. C’est ce qui aide mon âme damnée à croire encore en moi … et en l’aube … »

On le voit, le message est radical et peu nuancé. Murat n’aime pas ce qu’il voit autour de lui et ne peut imaginer rien d’autre qu’un futur où ces faiblesses, ces lâchetés humaines seraient exacerbées par les réseaux et les apports technologiques venus « améliorer » l’humain.

« La foule ne connaît que des sentiments simples et extrêmes. Il en est toujours ainsi des croyances déterminées par voie de suggestion émotionnelle, aujourd’hui pré-amplifiée à la faveur des implants cérébraux. »

Thierry Murat ne cherche pas à être sympathique, loin s’en faut mais il parvient paradoxalement à séduire avec ce récit désenchanté qui interroge sur le besoin inhérent à l’être humain de prolonger sa vie à tout prix, cette quête de l’immortalité qui, de tous temps, a subjugué ses semblables. Au-delà de sa misanthropie assumée, Ne reste que l’aube est un voyage inconfortable et fascinant, une oeuvre forte et sans concession, celle d’un homme qui ne vivra bien qu’en se tenant à la marge et qui parvient, malgré tout, à gagner notre respect.

Ne reste que l’aube n’est sans doute pas le moyen le plus évident de découvrir l’oeuvre de Murat même si c’est ici que son message est le plus clair. On recommandera chaudement la lecture de ses précédents ouvrages chez Futuropolis, qu’il s’agisse des adaptations des Larmes de l’assassin d’Anne-Laure Bondoux ou du Vieil homme et la mer d’Hemingway, sans oublier le splendide Etunwan, qui revisite le destin d’Edward S. Curtis, l’homme qui consacra sa vie à photographier les dernières tribus indiennes d’Amérique.

Yann.

Ne reste que l’aube, Thierry Murat, Futuropolis, 173 p. , 26€.

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