Tout de suite, ce qu’il y a de transcendant dans l’univers de Jean Hegland, ce sont ses personnages. Ils sont d’une humanité farouche, avec, le long des pages, cette justesse me paraissant toujours incroyable.
Windfalls – Apaiser nos tempêtes – est paru en 2004 aux États-Unis. Ce roman nous parvient dix-sept ans plus tard, avec la traduction de Nathalie Bru et cette préface, à lire absolument, de Jean Hegland herself.
Dix-sept ans, c’est le temps du regard d’une auteure sur ce qui est arrivé dans sa vie, la vie, permettant de ressentir toute la nécessité et l’importance d’Apaiser nos tempêtes.
« Si les téléphones portables sont bien plus présents qu’ils ne l’étaient au début des années 2000, époque où se déroule le récit d’ « Apaiser nos tempêtes », le reste a peu changé, malheureusement, du moins aux États-Unis. Comme l’a révélé la pandémie de Covid-19, c’est encore sur les mères que la charge des enfants pèse le plus lourd – les solutions de garde demeurent précaires et la plupart des parents sont toujours confrontés à des difficultés, des dilemmes très similaires à ceux que connaissent Cerise et Anna. Le droit d’une femme à choisir si elle souhaite ou non être mère est toujours remis en question, tandis que persistent l’absence de soins psychiatriques, les problèmes chroniques de logement, ainsi que les terribles inégalités créées par le capitalisme tardif américain. »
Te voilà projeté-e dans l’histoire de deux femmes, Anna et Cerise. Deux femmes de deux milieux différents mais avec ces questions identiques: « Qu’est ce que la maternité ? Quels peuvent être les bouleversements de notre corps et de notre psyché ? C’est quoi être mère ? »
Et là, point envie de théoriser de la part de cette auteure généreuse et altruiste. Jean Hegland te fait vivre une portion de vie d’Anna et Cerise, deux trajectoires comme deux oscillations sur un électrocardiogramme: c’est mouvant, impressionnant, palpitant.
Jean Hegland a mis sept ans pour accoucher d’Apaiser vos tempêtes . Sept années pour cinq-cent-cinquante-six pages éblouissantes de vérités et faire d’Anna et Cerise « (…)deux femmes dont les combats et les triomphes continuent à éclairer les miens ».
L’auteure californienne nous les donne alors en partage et quel beau cadeau que celui-ci !, la transmission de cette palette d’émotions aussi large que vive.
Apaiser nos tempêtes débute par la description d’une photographie d’un arbre. C’est un arbre fendu en deux mais exprimant encore sa puissance féconde. Cette image est un lien, déjà.
Puis tu fais la connaissance d’Anna, la fille de l’Est et Cerise, fille de l’Ouest. Pour peu tu aurais l’impression d’être dans la chanson « Girl from the North Country », la version Cash et Dylan.
À l’Est, Anna, 22 ans, représente cette middle-class aisée, rassurante. Anna est cette étudiante dont le père tient un cabinet d’assurances, et assure les études d’art de sa belle enfant, qui n’a pas trop le droit à « l’erreur ».
À l’Ouest, Cerise, 16 ans, lycéenne, est cette pierre qui roule sur un chemin. Elle se cherche, entre Sam, ce premier crush, celui lui ouvrant les portes du désir, et Rita, la mère célibattante, qui n’a jamais trop de temps, veillant au grain, sévèrement.
Nous sommes durant les années 90, c’est la guerre du Golfe au loin, un homme parle de « croisade » tandis que dans son pays, deux jeunes femmes, parmi tant d’autres, tombent – quelle drôle d’expression – enceintes, sans l’avoir voulu.
C’est alors le début de l’histoire et des choix.
L’une décide d’avorter dans le plus grand silence, l’autre décide de le garder contre l’avis maternel.
Ces choix, accompagnés du filet des regrets ou faits sans réelle conscience du « moi » intérieur.
Jean Hegland n’est pas du genre à faire dans le noir et blanc; toute la force de son écriture réside, pour moi, dans la description si fine des nuances humaines.
Les tempêtes intérieures de ses personnages donnent lieu à des petites morts qui, elles-mêmes, enfantent soit d’une puissante résilience, soit d’une déchéance accrue. Et le chemin est long vers leur propre réconciliation.
L’auteure aime ces deux femmes et toi, tu le leur rendras bien parce que ton attachement sera aussi vif que réel, quelque soit ton genre.
« D’aussi loin que Cerise se souvienne, jamais une femme ne l’avait étreinte. Au début, elle ne désira rien de plus que rester toujours dans le confort des bras d’Anna. Pendant quelques instants, Anna et Cerise demeurèrent ainsi l’une contre l’autre, Ellen en sandwich entre elles deux, leur souffles réchauffant la petite poche qu’elles formaient toutes les trois dans la fraîcheur de la nuit. »
Sur plusieurs années, tu suivras leur parcours, leur transformation, leurs interrogations et puis une nuit, ce drame, comme un effondrement brutal. À l’Ouest, plus rien de nouveau, excepté cette douleur insoutenable. Tandis qu’à l’Est se vit un tumulte intérieur, de celui qui rend la vie bancale.
Et toi, tu t’attaches, au fil des pages, à ces deux femmes, combattantes d’un quotidien, deux mères qui cherchent un chemin sans savoir vraiment lequel. La maternité est cette chose universelle mais qui, dans le même temps, reste une terra incognita, cette expérience totalement différente – car radicalement intime – pour chacune et chaque enfant.
Apaiser nos tempêtes jouera sur des effets miroirs par le prisme des enfants. Et tu vivras leur rencontre, témoin de quelque chose d’extraordinaire dans leur ordinaire, tu en auras des frissons.
C’est le genre d’histoire qui s’écoule comme une rivière, tu prendras ta barque et te laisseras porter par ce roman intense et sublime.
Coup au cœur bouleversant.
Fanny.
Apaiser nos tempêtes, Jean Hegland, Phebus. 558 p., 23 euros.
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