En août dernier sortait Ce qu’il faut de nuit, premier roman de Laurent Petitmangin. En quelques semaines, ce texte fort et poignant emportait les suffrages des libraires et des chroniqueurs/euses littéraires, démarrant ainsi sur les chapeaux de roue une carrière vite récompensée par quelques prix littéraires. L’auteur y faisait preuve d’une étonnante maturité ainsi que d’une sensibilité rare qui surent toucher au coeur celles et ceux qui eurent le livre entre les mains. C’est donc peu dire que l’on attendait ce deuxième essai reçu par l’éditeur en même temps que le premier. C’est peu dire aussi que l’on ne retrouvera pas ici ce qui nous avait emportés l’an dernier.
Berlin, quelques semaines après la fin de la seconde guerre mondiale. Jeune cadre du Parti, Gerd y rencontre Käthe dont il tombe amoureux et avec laquelle il s’investit dans des projets d’avenir pour ce pays à reconstruire. La jeune femme imagine un programme selon lequel les enfants des intellectuels du pays pourraient être retirés à leurs familles afin de bénéficier d’une éducation poussée qui en ferait une élite apte à prendre en mains les rênes de la nation, empêchant par la même occasion toute tentation de passage à l’ouest. Mais sa rencontre avec une ressortissante américaine va ébranler les convictions de Gerd.
En appuyant son récit sur une réalité historique indéniable (le programme Spitzweiler a été découvert en 1991 après la déclassification des archives de la RDA), Laurent Petitmangin se donne une assise à la fois solide et éminemment romanesque. L’époque elle-même, le lieu, sont propices à la fiction et l’on comprend la tentation d’en faire le cadre d’un roman. Cette atmosphère paranoïaque, ce nécessaire sursaut nationaliste à l’heure où les vainqueurs de la guerre coupaient Berlin en deux, sont autant d’éléments ici fidèlement restitués.
Mais c’est ailleurs que le bât blesse. Si le roman tourne autour du trio constitué de Gerd, Käthe et Liz, c’est aux tergiversations et états d’âme du premier que s’intéresse particulièrement Petitmangin, continuant à « sonder les nuances et les contradictions de l’âme humaine », pour reprendre les mots de son éditeur. Ce qui fonctionnait aussi bien dans Ce qu’il faut de nuit et donnait l’essentiel de sa force au roman semble malheureusement patiner ici et force est d’admettre que l’on s’ennuie poliment à la lecture d’Ainsi Berlin. À aucun moment, les personnages ne parviennent à s’incarner véritablement, on reste spectateur de leurs débats sans que rien de ce qui leur arrive ne nous touche. Cette espèce de froideur, de distance, qu’elle soit voulue ou pas, m’a tenu à l’écart du livre, m’empêchant de vibrer ou d’être touché comme ça avait été le cas l’an dernier. Hésitant comme son principal protagoniste, froid comme l’exigeait l’époque, Ainsi Berlin rate sa cible et ne convainc pas.
Yann.
Ainsi Berlin, Laurent Petitmangin, La Manufacture de Livres, 267 p. , 18€90.