L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Western Spaghetti, Sara-Ànanda Fleury (Le Quartanier) – Yann
Western Spaghetti, Sara-Ànanda Fleury (Le Quartanier) – Yann

Western Spaghetti, Sara-Ànanda Fleury (Le Quartanier) – Yann

« Un jour, j’ai demandé à Pa’ pourquoi on laissait cette carcasse de pick-up ici et il m’a répondu qu’il y a des choses qui doivent rester les mêmes jusqu’à la fin du monde. Alors c’est ce que je fais. J’attends la fin du monde. Et après on verra. »

Photo : Yann Leray.

Dans notre série « Lisez des nouvelles, bordel ! », je demande Sara-Ànanda Fleury. Mon année de lecture aura été marquée par deux recueils, le premier étant Indice des feux (par le québécois Antoine Desjardins à La Peuplade), le second celui-ci, dont la plupart des nouvelles se déroulent également dans la Belle Province. En effet, même si elle est née en France et enseigne aujourd’hui à Paris, Sara-Ànanda Fleury a vécu plus de dix ans à Montréal où elle obtint une maîtrise en études littéraires. D’humeur plutôt nomade, elle peut également se targuer d’avoir voyagé en Amérique du Nord et vécu en Argentine et au Chili. Mais c’est indéniablement son expérience québécoise qui semble l’avoir marquée, au point d’en faire le cadre de la plupart des huit nouvelles qui composent cet impeccable Western Spaghetti .

Photo : Randy Nihof.

Chroniquer un recueil de nouvelles n’est pas chose aisée. On y cherchera peut-être en premier lieu un point commun, un fil conducteur qui aiderait à se faire une idée d’ensemble. Mais ici, c’est plutôt une voix que j’ai trouvée, même si, en fouillant un peu, on pourrait bien sûr dégager quelques thèmes qui sous-tendent les différents textes. Qu’elle se mette dans la peau d’une femme au bord de la rupture, d’un homme exilé dans un pays qui n’est ni le sien ni celui où il avait choisi de se rendre, ou dans celle d’un enfant dont la famille vit en équilibre précaire, Sara-Ànanda Fleury touche par sa justesse et sa sensibilité. En toutes choses, elle parvient à garder une certaine douceur alors même que les vies sur lesquelles elle se penche n’ont plus grand chose de doux. Elle excelle à dépeindre sans pathos mais avec une bonne dose d’empathie des destins sur le fil, des existences saisies à un point de bascule, des moments de fragilité mais aussi de grâce, ce qui donne à son livre cette lumière particulière et atténue la part de noirceur que l’on peut y trouver.

Photo : Patrice Normand.

Elle parvient ainsi à se montrer particulièrement émouvante dans la nouvelle qui donne son titre au recueil, où le narrateur, en regardant de vieilles photos de sa femme, y aperçoit la trace d’un autre homme dont il devine très vite que c’était l’amant de sa chère et tendre épouse.

« Un homme qui aurait pu être moi mais qui ne l’était pas. Un homme que je connaissais sans le connaître, voisin de pupitre, voisin tout court, camarade perdu de vue puis retrouvé en zone non-occupée, équipier de belote en attendant la démobilisation, vieil ami du café Daguerre. C’était Camille. Le Camille que tu n’avais pas choisi à dix-huit ans, puisque tu m’avais choisi, moi, était partout dans ta vie, le visage à contre-jour, la silhouette floue, si floue que je n’avais jamais su la voir. »

Empreintes d’une certaine mélancolie, voire, parfois, de nostalgie, les nouvelles de Sara-Ànanda Fleury font mouche, à la fois par leur originalité et par sa façon de les traiter. L’enfance est également une composante essentielle de Western Spaghetti et, qu’elle en parle ou qu’elle en prenne la voix, elle garde cette justesse admirable que l’on retrouve à chaque page.

« Est-ce que tous les enfants qui ont grandi sur des talus de silences ont un jour pensé, comme moi, qu’ils étaient peut-être le fils d’un roi, ou mieux, d’Al Pacino ? »

Qu’il soit question d’une femme qui revient à Montréal et retrouve le cinéma porno dans lequel elle avait travaillé (Ce qu’il reste du Cinéma l’Amour), ou d’un homme bloqué dans la même ville après les attentats du 11 septembre (Mohamed A.B.), qu’elle se penche sur un enfant dont la mère s’est entichée d’un prédicateur qu’ils doivent suivre sur les routes (Neon Bible) ou sur une histoire d’amour sans concession (Oona), l’acuité et la sensibilité du propos touchent à chaque essai et l’on referme le recueil avec la grisante sensation d’avoir rencontré une voix, une autrice qui a des choses à nous dire et sait la meilleure façon de nous les dire. En ce sens, Western Spaghetti est une vraie révélation, un pur moment de plaisir que l’on a ensuite envie de partager avec les personnes qui comptent pour nous.

Yann.

Western Spaghetti, Sara-Ànanda Fleury, Le Quartanier, 272 p. , 20€.

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