L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Élise sur les chemins, Bérengère Cournut (Le Tripode) – Fanny
Élise sur les chemins, Bérengère Cournut (Le Tripode) – Fanny

Élise sur les chemins, Bérengère Cournut (Le Tripode) – Fanny

Photo: Fanny.

Élise sur les chemins signe le retour en poésie de cette écrivaine passionnée et inspirée par la géographie, l’ethnologie, celle qui met en beauté sciences et littérature: Bérengère Cournut.
Élise sur les chemins, c’est « l’émouvance du monde » pour reprendre le titre d’un article consacré à Élisée Reclus, écrit par le géographe Christophe Brun.
Lorsque tu lis ces vers ensauvagés lovés dans cet écrin illustré intitulé Deux haies de Corinne Pauvert, tu pars assez loin.

Élise te transporte vers son célèbre frère – qui ne l’est pas encore à ce moment là… célèbre – Élisée Reclus. C’est un sacré personnage cet Élisée, et c’est aussi une sacrée famille investie dans ce que je pourrais nommer le « bien commun ».
Si tu synthétises, tu sais que Jacques Élisée Reclus est né le 15 mars 1830 à Sainte-Foy-la-Grande en Gironde. Il deviendra géographe, militant anarchiste, communard, pédagogue, écrivain prolifique, membre de la Fédération jurassienne acquise aux idées libertaires de Mikhaïl Bakounine, précurseur de la géographie sociale, de la géopolitique, de la géohistoire et de l’écologie, végétarien, naturiste, partisan de l’union libre et espérantiste.
Oui, un sacré bonhomme. Sans te parler des quatorze frères et sœurs.

Mais je reviens vers Élise qui te fait participer à son école buissonnière, ausculte le monde qui l’entoure, réel ou imaginaire, te rend nu-e comme la femme serpent que tu croiseras sur les chemins.
Bérengère Cournut prend l’envie de partir en rime, mêlant l’espace intime de cette famille nichée en nature, à une douce fantaisie.

Pour dire ce qu’est Élise sur les chemins, j’ai retrouvé les mots qu’avait posés Élisée Reclus pour son projet de construction (1895-1898) du « Grand globe »:
« Des vues, des paysages, des types d’hommes et d’animaux (…), nous assisterons ainsi à toutes les manifestations de la vie sur terre, dont nous parcourons du regard les étendues. Nous la verrons s’animer, se transformer et l’harmonie se fera dans notre imagination entre la terre, ses phénomènes de toute nature, ses plantes et ses habitants. »

« Le grand Tout », le voilà en vers, et ce n’est pas la première fois que l’auteure nous le chuchote.
Sauf qu’ici sont proposés des chemins de traverse, une épopée familiale sortant de l’ordinaire. Et c’est Élise qui raconte.
Mais qui est cette Élise Reclus ?
C’est une petite fée, un petit être parti trop tôt, que Bérengère Cournut, dans sa liberté d’auteure, rend au monde.
Élise Reclus est née entre Élie (1827-1904) et Élisée (1830-1905). Élise est le trait d’union, elle qui naquit le 7 mars 1829 pour mourir le 13 mars de la même année; une petite semaine de vie et déjà toute une épopée, reliée à ses frères.
Élie
Élise
Élisée

« Je suis une fille, je m’appelle Élise
Je suis née il y a onze ans

Au flanc d’une colline boisée
Les pieds dans un ruisseau
La tête dans les bouleaux
Enfant des arbres, fille de l’eau

Bien entendu, j’ai aussi de vrais parents
Ma mère s’appelle Zéline
Mon père Jacques
Mais on dit plus volontiers
Féline et Lion
Quand ils sortent les griffes
Ou font les yeux ronds (…) »

Élise sur les chemins est une impression fauve de vies en pleine nature.
Sur des notes emplies de musicalité et d’espièglerie, Bérengère Cournut nous transporte entre rêves et réalités, dans l’univers quelque peu autarcique des Reclus. Les Reclus reclus dans leur sphère végétale.
L’auteure s’attache ici à la jeunesse d’Élisée, au milieu de cette grande fratrie, une société autonome à elle toute seule; et à ce trio voyageur que forme déjà Élisée, Élie, futur ethnologue déjà anarchiste et Onésime, futur géographe, plus jeune et plus « tendre » que ses frères, lui, l’inventeur du mot « francophonie ».

En compagnie de celle dont le prénom en hébreu « Elisheba » signifie « Dieu est plénitude », Bérengère Cournut nous offre cette odyssée poétique en rimes majeures d’un moment déterminant pour Élisée.
Avec sa plume projetant des images empreintes d’allégories, de fantaisie et d’humeur animiste, l’auteure nous emporte dans cette jeunesse, entre clan familial et échappée belle.
Cela pourrait être le moment où Élisée et Élie partent suivre des études de théologie à la faculté protestante de Montauban. Ils en sont exclus à l’été 1849 pour des raisons politiques, à la suite d’une fugue qu’ils font en juin en Méditerranée. C’est vers cet instant qu’ Élisée délaisse la foi pour les idéaux socialistes; il fronde.
« Peu de gens sur terre ont le courage
De s’éloigner des villes et des villages
Pour vivre selon les lois de la nature »

Bérengère Cournut s’approprie le génie Reclus pour en faire une œuvre qui, comme Élisée, sort des sentiers battus.
Élise sur les chemins est à découvrir, à laisser résonner en soi comme tu laisserais la pleine nature te prendre dans ses bras, sans peur ni a priori.

Coup au cœur universel.

Fanny.

Élise sur les chemins de Bérengère Cournut, Le Tripode. 172 p. / 15 euros.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

En savoir plus sur Aire(s) Libre(s)

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture