L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Oiseau, Sigbjørn Skåden (Agullo / Court) – Yann
Oiseau, Sigbjørn Skåden (Agullo / Court) – Yann

Oiseau, Sigbjørn Skåden (Agullo / Court) – Yann

Fortes du vif autant qu’inattendu succès de Presqu’îles, l’excellent recueil de nouvelles de Yan Lespoux (dont il est question ici), les éditions Agullo poursuivent donc l’aventure Agullo Court qui, comme son nom l’indique, propose des textes plutôt brefs, nouvelles, novella ou courts romans. Bien loin du Médoc, Oiseau emmène le lecteur sur Home, planète colonisée par l’Homme au XXIème siècle. Il s’agit donc bien d’un texte de science-fiction, appellation que l’on hésite à employer tant elle donne l’impression de faire fuir nombre de lectrices et de lecteurs potentiels. Il serait pourtant grandement dommage de ne pas se laisser séduire par l’originalité et la beauté de ces 130 pages.

Au mitan des années 2000, l’expédition UR envoie une trentaine de colons à des années-lumière de la Terre. Les pionniers s’installent sur la planète Home, où la présence d’eau semble pouvoir leur garantir des conditions de vie acceptables mais précaires. L’arrivée, une centaine d’années plus tard, d’un vaisseau contenant lui aussi des humains va soulever de nombreuses questions au sein de la petite communauté.

« J’émerge avec un espoir. Un instant, en sortant du sommeil, je crois que tout est normal. Et puis, tout me revient. Home n’est pas un endroit qui offre, mais qui prend. Le moindre de nos gestes est une répétition, une spirale qui tourne encore et encore, sans mener nulle part. Et pourtant, nous la suivons, peut-être dans l’idée qu’elle nous conduit vers un but, mais surtout parce que nous n’avons pas le choix. Si nous n’allons pas de l’avant, qui sommes-nous ? »

Sigbjørn Skåden est norvégien, d’origine same, il sait donc ce que signifie vivre dans un environnement qui, sans pouvoir être qualifié d’hostile, n’est pas franchement accueillant au premier abord. Il a ainsi imaginé une planète Home où la lumière est bruyante, à tel point que les hommes ont renoncé à communiquer de manière orale et n’utilisent plus que l’écrit, par le biais de claviers et d’écrans, dont certains sont directement intégrés à leur combinaison. Home est une terre aride dont les colons extraient péniblement leur nourriture, la seule vraie richesse de la planète étant l’eau. Pour compléter le tableau, de fortes tempêtes viennent régulièrement perturber le quotidien des habitants, qui ont fini par s’y habituer et instaurer une forme de routine dans leur vie d’exilés.

Photo : Tanya Busse.

En confrontant descendants des pionniers et nouveaux arrivants, Sigbjørn Skåden donne à son récit un fond intemporel autant qu’universel, l’éternel face à face entre « natifs » et « migrants », occupants « légitimes » et potentiels envahisseurs. La méfiance devient une réaction naturelle, elle conditionne la survie et les premiers contacts sont marqués par une prudence collatérale et une certaine froideur. Mais l’auteur norvégien, par la grâce de son écriture, parvient à emmener son récit bien au-delà d’une « simple » confrontation entre deux vagues de colons sur une même planète. Car Oiseau est avant tout un texte d’une grande beauté, nimbé d’une poésie rude quand il s’agit de planter le décor mais également capable d’un sens aigu de l’observation, voire de la contemplation.

Sigbjørn Skåden parvient donc en peu de pages à soulever des questions inhérentes à l’espèce humaine autour de la tolérance ou l’acceptation mais également la mémoire et le souvenir et, dans le même temps, offre un texte onirique et grave, empreint de grâce et de délicatesse, faisant d’ Oiseau un texte unique dont la brièveté n’enlève rien à la force d’évocation qu’il possède.

« La tempête persiste, les jours se déposent les uns après les autres comme de longues couches de peinture. plus les journées s’allongent, plus le bruit de la lumière semble intense au coucher du soleil. Comme le chant de la pluie sur Terre. Et puis vient l’obscurité. Et le silence. Qui encapsule le tout dans un soupir. »

Traduit du norvégien par Marina Heide.

Yann.

Oiseau, Sigbjørn Skåden, Agullo Court, 133 p. , 12€90.

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