Il est des découvertes tardives. Celle de l’oeuvre de Richard Morgiève en est une évidente en ce qui me concerne. Le Cherokee (Joëlle Losfeld – 2019), depuis récompensé par le Grand Prix de Littérature Policière et le Prix Mystère de la Critique, fut une de mes meilleures lectures de l’an passé, tout de noirceur et d’humour, un plaisir de lecture comme j’en croise finalement assez peu. Profitant d’une rencontre avec l’auteur lors du festival Sang d’Encre, à Vienne, en novembre dernier, j’en repartis avec deux textes, dont celui qui nous occupe aujourd’hui.
Initialement publié chez Ramsay en 1988, Un petit homme de dos fut réédité par Joëlle Losfeld en 1995 puis en 2006 (collection Arcanes). Bien loin du Cherokee, ce texte est un récit autobiographique dans lequel Richard Morgiève revient sur la folle histoire d’amour de ses parents, de leur rencontre en 1942 au suicide de son père en 1963 alors que lui-même n’était âgé que de treize ans.
S’il fait forcément appel à son imagination dans la première partie du livre, celle qui précède sa naissance, celui que l’on appellera Mietta (en souvenir d’un des meilleurs amis de son père) s’efforce d’être le plus juste possible et de rester fidèle à ce qu’étaient ses parents lorsqu’ils se rencontrèrent dans une petite ville d’Ardèche. Et le tableau qu’il en offre est saisissant de tendresse et de vie, tant cet homme et cette femme tombent profondément amoureux l’un de l’autre et s’emploient à vivre pleinement leur passion.
« Il nous a toujours dit qu’il avait débarqué au Havre en 1938 et qu’il venait de Liverpool, via Brême et Varsovie. D’après lui il était interprète et n’avait d’autre ambition que celle de vivre tranquillement. (…) Toutefois, ce sage philosophe, ce Candide n’est pas le personnage que nous avons connu, le bandit merveilleux qui m’a donné la vie. Tout le problème est là. Il ne nous a légué de son passé que des écheveaux de mystère. A nous de nous débrouiller avec ça. C’était impossible et nous ne sommes jamais arrivés qu’à tisser une légende. »
Richard Morgiève, avec Un petit homme de dos, ne se contente pas d’écrire l’histoire qui suivit la légende, il donne vie avec force et éclat à une splendide galerie de personnages, à commencer par ce père hors norme, cet homme plus grand que la vie malgré sa petite taille. Sans cesse en mouvement, incapable de se satisfaire de médiocrité, avide et amoureux, ce petit Polonais ne peut concevoir la vie que comme une grande fête, une source infinie d’opportunités à saisir afin de grandir, de s’enrichir et pouvoir ainsi permettre à son épouse de vivre comme elle le mérite. Entouré de son cercle d’amis, il passe ses soirées à La Cour des Miracles, dont le nom est parfaitement approprié à ces hommes et femmes de tous horizons, n’ayant pour seul point commun que l’envie de vivre à fond chaque instant, quittes à se consumer plus vite que le commun des mortels. De petits trafics en grosses arnaques, le petit homme et ses comparses vont s’enrichir tout en brûlant la chandelle par les deux bouts, pendant la guerre tout d’abord, puis après.
Mais toute légende a son revers et l’appétit de vivre de Stéphane, le petit polonais, le pousse à commettre des erreurs de jugement, il a les yeux plus gros que le ventre, sa soif d’amour le pousse dans d’autres bras que ceux de son épouse. Toujours en mouvement, il s’épuise à rapporter assez d’argent au foyer pour permettre à sa femme et ses enfants de mener une vie confortable.
« Mon père, petit homme immense, il tirait la langue à La Fontaine et prouvait qu’une grenouille pouvait être aussi grosse qu’un boeuf et pourquoi pas qu’un éléphant. »
Récit autobiographique, on l’a dit, Un petit homme de dos est avant tout un concentré de tendresse et d’admiration, une déclaration d’amour à ses parents et à leur passion, un texte bouillonnant de vie, à l’image de ce père infatigable, tornade autour de laquelle gravitèrent des années durant hommes et femmes emportés par sa folle énergie et son envie de vivre. « Les histoires d’amour finissent mal, en général », on le sait depuis longtemps déjà mais celle d’Andrée et Stéphane éclaire littéralement les 250 pages de ce livre touchant, sensible et juste, de ces textes que l’on n’aura de cesse de faire lire autour de nous, désireux d’en partager la chaleur et l’humanité.
« … (et moi je suis un de ces survivants et j’écris ce livre pour être comme si j’étais à côté d’elle et comme si j’étais à côté de lui, parce que je les aime tous les jours un peu plus et que j’ai besoin de le dire et de l’écrire, et que ligne après ligne, page après page, exorcisant le malheur en racontant leur belle histoire d’amour, je sens que je suis en train de devenir l’écrivain que je rêvais d’être, et je crois que c’est un merveilleux cadeau que je me fais et que je leur fais. »
Merci M. Morgiève, c’est aussi un beau cadeau que vous nous faites.
Yann.
Un petit homme de dos, Richard Morgiève, éditions Joëlle Losfeld, collection Arcanes, 248 p., 10€.
Ping :La Fête des mères, Richard Morgiève (Joëlle Losfeld) – Yann – Aire(s) Libre(s)