Si l’on se demande parfois à quoi diable peuvent bien servir les membres de l’Académie Française et ce qu’ils / elles ont pu écrire de si inoubliable qu’ils en deviennent immortels, ce roman d’Andreï Makine paru en 2016 arrive à point nommé pour rendre un peu de crédibilité à cette assemblée qui en manque singulièrement selon nous.
S’il commence dans les années 1970, le récit laisse rapidement place à une histoire dans l’histoire, à savoir celle que relate Pavel Gartsev au narrateur, celle d’une traque hors-norme dans la taïga sibérienne une vingtaine d’années plus tôt. Gartsev, jeune militaire, est envoyé dans cet endroit hostile et sauvage où l’armée effectue des simulations d’attaques chimiques (on est alors en pleine guerre de Corée). Mais, très vite, Gartsev et trois de ses compagnons, accompagnés d’un chien, vont être envoyés sur les traces d’un prisonnier échappé d’un camp proche. Rien ne se déroulera comme prévu et la vie de Gartsev en sera bouleversée.
Il souffle sur ces pages l’air glacial de la taïga et Makine nous fait partager avec éloquence une aventure humaine exceptionnelle dans ces contrées d’Extrême-Orient. Rappelant avant tout le contexte historique très fort dans lequel se déroule son récit, il y livre le portrait d’un monde violent, en particulier au sein de l’institution militaire. Un climat de suspicion règne en permanence et il est facile d’y être dénoncé et condamné sur de simples suppositions, Gartsev en fera les frais à diverses reprises. Ce fonds historique et indéniablement politique devient vite indissociable de la traque dans laquelle Gartsev et ses compagnons vont se lancer, sans savoir où elle les mènera.
Mais c’est pourtant le paysage qui, très vite, passe au premier plan et finit par acquérir autant d’importance que les humains qui s’y débattent. Ces terres sauvages battues par les vents et recouvertes de neige la majeure partie de l’année semblent s’étendre à l’infini, parcourues de cours d’eau imprévisibles et dangereux. Le fugitif leur donnant finalement bien plus de fil à retordre qu’ils n’auraient pu l’imaginer, Gartsev et ses acolytes vont devoir s’éloigner de leur camp au risque de se perdre dans ces immensités du bout du monde.
Même s’il trouve d’emblée sa place dans les grands récits d’aventure au souffle puissant, L’archipel d’une autre vie vaut également par la dimension spirituelle qu’y injecte l’auteur avec talent. La chasse à l’homme, dans les rares moments de répit qu’elle laisse aux traqueurs, permet aux soldats de discuter, de se confier, parfois, et, surtout, de se confronter à leur propre histoire. C’est peut-être, du moins pour certains d’entre eux, cette partie-là de leur épopée qui sera la plus difficile à affronter avec courage et honnêteté.
L’archipel d’une autre vie constitue sans aucun doute une belle réussite, doublée d’un dépaysement total. Andreï Makine excelle à dépeindre la violence des éléments autant que celle des hommes et parvient à donner une belle épaisseur à son récit, le maintenant sous tension du début à la fin.
Yann.
L’archipel d’une autre vie, Andreï Makine, Editions du Seuil / Points, 233 p. , 7€.