« Rien n’avait été laissé au hasard, le cintré n’était donc pas aussi cintré que ça. Et la conclusion était limpide : le meurtre de Thomas Abbe marquait le début d’une nouvelle phase d’activité intense. La soif de mort était immense. Il ne s’agissait pas d’un tueur en série pouilleux et raté comme le sont souvent les tueurs en série français. »
2020 ne sera définitivement pas une année pourrie pour tout le monde. En témoigne La Manufacture de Livres qui, après le succès mérité de Ce qu’il faut de nuit, le superbe texte de Laurent Petitmangin, nous offre le quatrième roman de François Médéline, cet Ange rouge qui déploie ses ailes sur 500 pages de pur roman noir. Si Tuer Jupiter (2018) nous avait un peu laissé sur notre faim, malgré des qualités et un humour indiscutables, c’est le contraire qui se produit ici car, il faut bien le reconnaître, on n’avait pas vu arriver ce petit pavé, l’auteur s’étant montré pour le moins discret à son sujet.
Il semble pourtant vite évident qu’avec L’ange rouge, François Médéline a pris de l’envergure et de l’assurance, au point de placer son roman sous le patronage de James Ellroy pour lequel il n’a jamais fait mystère de son admiration. Autant le reconnaître tout de suite : le résultat est largement à la hauteur de l’ambition affichée et ces 500 pages se lisent quasiment d’une traite.
Lyon, 1998. Crucifié dans un radeau sur les eaux de la Saône, un corps mutilé entre dans la ville. Débute ainsi une affaire hors norme, à la hauteur de cette mise en scène macabre et particulièrement soignée. Le commandant Dubak et son équipe sont chargés de trouver le tueur avant qu’un nouveau cadavre ne soit découvert. Ils ignorent que cette traque va les confronter au mal pur autant qu’à leurs fantômes.
Alors oui, il s’agit d’une histoire de tueur en série, oui, le cahier des charges est respecté à la lettre et oui, l’ombre d’Ellroy est omniprésente dans ces pages et dans chacune des phrases de Médéline. Ce rythme, ces phrases brèves, hachées, ces répétitions ont bien été empruntés à l’auteur du Quatuor de Los Angeles mais Médéline les fait siens, sans faux semblant, avec une sincérité qui balaiera sans mal les éventuelles critiques. Car il sait se placer au-delà et donner à son récit et à ses personnages une ampleur qui n’appartient qu’à lui.
« Les morts appartiennent à ceux, parmi les vivants, qui les réclament de la manière la plus obsessionnelle. » James Ellroy.
Cette phrase, placée en exergue du roman, donne le ton, bien sûr mais elle est accompagnée d’une autre citation, moins attendue, celle-ci, extraite d’une chanson de Barbara :
« Comme avant / Dans mes rêves d’enfant / Pour cueillir en tremblant / Des étoiles des étoiles ».
Tout est là, dans ces deux phrases, tout ce que François Médéline va développer au-delà de son histoire de tueur en série. La chair du roman se situe ici, à la fois dans cette relation qu’entretiennent certains de ses protagonistes avec leurs morts, leurs fantômes, et dans la douleur d’une enfance dévastée. On n’en dira pas plus mais c’est dans cette dimension d’humanité et de souffrance que l’auteur se montre le plus convaincant et se démarque nettement de son mentor, livrant quelques passages poignants dont on n’est pas sûr qu’Ellroy parvienne à les écrire.
Cet Ange rouge constitue donc une réussite impeccable dont François Médéline déroule l’intrigue avec une maîtrise jamais prise en défaut. Il prouve aussi brillamment qu’un hommage ne se résume pas forcément à faire la même chose en moins bien et donne à l’exercice une intensité et une noirceur qui n’ont rien à envier à personne. Bref, un roman à ne pas laisser passer, qui a de grandes chances de se retrouver parmi nos favoris de cette année 2020 de merde (mais pas pour tout le monde), loin devant La tempête qui vient, dernier Ellroy en date sur lequel on évitera de revenir (la chronique est ici, si vous souhaitez cependant vous rafraîchir la mémoire).
« L’entrée de la boutique était bondée. Les journaleux étaient à cran. France 3 avait dépêché un camion-régie. Des photographes shootaient le bâtiment sous tous les angles. Les cadreurs filmaient des reporters qui débitaient leurs légendes sur les sérial killers et la brumeuse capitale des Gaules, les génies du mal et les traboules énigmatiques. »
Yann.
L’ange rouge, François Médéline, La manufacture de Livres, 505 p., 20€90.
Ping :L’Ange rouge, de François Médéline | Cannibales Lecteurs