Émanation des éditions Mnémos, spécialisées dans les littératures de l’imaginaire, Mu a su très vite se faire remarquer par ses choix éditoriaux, préférant publier peu mais bien. À ce titre, Les oiseaux du temps, paru l’an dernier pouvait tranquillement prétendre au titre de chef-d’oeuvre et marqua notre année par sa beauté et son originalité. Grande est donc la surprise de voir arriver en librairie ce Retour à Malataverne, hommage et suite au célèbre Malataverne écrit par Bernard Clavel en 1960, bien loin des domaines de l’imaginaire habituellement côtoyés par la maison.
« Je prends ma retraite, Robert (…) J’ai déjà vu un gosse mort sur une table d’autopsie parce que les collines chantent leur malheur à l’oreille des gens du coin. Elles les retiennent, ces fichues collines, elles leur font faire des choses qu’ils regrettent ensuite. Mon cabinet est un confessionnal. Quarante ans que je connais chaque plaie, chaque cicatrice, quarante ans que je devine les jalousies et les mesquineries. »
Suivant le parcours de trois adolescents en perdition dont le dernier coup d’éclat devait voir l’un d’eux mourir et un autre partir en prison, Clavel livrait un roman court mais intense, une réflexion sur la violence de la société et la difficulté pour certains de s’y faire une place. La fin du roman voyait Robert, l’un des trois insoumis, partir en prison pour meurtre. Pierre Léauté reprend le récit quinze ans plus tard, lorsque Robert sort de taule et retourne au pays pour ce qu’il espère être un nouveau départ.
Disons le tout de suite, ce Retour à Malataverne est une réussite qui n’aura pas à rougir de l’ombre de son prédécesseur. On tient là un roman qui dépasse le simple hommage et reste aussi bref et tendu que l’était Malataverne. Du temps a passé, la société a évolué, crise économique et chômage ont fait leur apparition et le monde que découvre Robert n’a plus grand chose de commun avec celui qu’il avait laissé au moment de son incarcération. Retrouvant son père qui semble décidé à faire profil bas et à reconnaître ses erreurs passées, le jeune adulte grandi derrière les barreaux n’aspire à rien d’autre qu’une vie tranquille à l’abri des ragots et de la violence des hommes. Mais il ignore qu’il est entre-temps devenu propriétaire du domaine de Malataverne, lieu du drame initial : en effet, le curé du village s’était porté acquéreur de la maison et la lui avait léguée juste avant de mourir. Il n’en faudra pas plus pour rouvrir les vielles blessures et ranimer les haines et rancoeurs enfouies durant quinze ans.
« Tu as été trop longtemps enfermé, tu crois à l’impossible. Mais la liberté, ce n’est pas tant ce que tu oses, plutôt ce que le monde consent à te laisser. Mon monde à moi n’avait pas de murs ou de barbelés, pour autant il était pas forcément plus immense que le tien. »
Rendant à la vie les personnages créés par Bernard Clavel, Pierre Léauté met en scène le petit théâtre de la bêtise et de la jalousie des hommes. Poursuivant la réflexion sur la violence et l’usage qu’on en fait engagée par le grand écrivain, Léauté montre à quel point il peut être difficile de se réinsérer dans la société, de s’y faire à nouveau une place malgré le lourd tribut qu’elle a déjà coûté. Et il pose en filigrane la délicate question du droit à l’oubli lorsqu’une peine a été purgée, question plus que jamais d’actualité à l’heure des réseaux sociaux où chacun devient juge ou procureur à tout moment.
Retour à Malataverne garde la noirceur du roman de Clavel et continue de gratter les croûtes, là où ça fait mal, là où l’homme devient moche, égoïste et incapable de pardon. Pierre Léauté étoffe le récit initial et les figures évoquées, les lie dans un pacte de sang que n’aurait sans doute pas renié son prédécesseur. Il offre par la même occasion une galerie de portraits de villageois dont peu trouvent grâce à ses yeux. Mais en remettant en scène la délicate Gilberte, c’est un peu de beauté qu’il instille dans la vie de Robert. Quelques instants de lumière dans un monde gagné par l’obscurité.
Yann.
Retour à Malataverne, Pierre Léauté, Mu, 192 p. , 17€.