En 1978, j’ai sept ans et je vis en Corrèze. Au risque de passer pour un vieux con, je vais rappeler ce qu’était la vie d’une gamin dans ces années-là. Il y avait beaucoup de livres, chaque mois il y avait même un bibliobus qui se stationnait sur la place du village. Je m’en souviens très nettement, j’ai même encore l’odeur spéciale qui régnait à l’intérieur et le son de mes pas sur la moquette.
En revanche, pour ce qui était des dessins animés, de la télé, c’était une autre paire de manches. Il n’y avait que trois chaines, et si on voulait regarder un dessin animé, il fallait s’armer de patience, picorer de çi de là un Tex Avery ou des choses de chez la Warner Bros, comme le lapin qui disait « Quoi de neuf docteur ? ». Ça arrivait rarement, plutôt le dimanche avant le diner. Rien de récurrent, rien qui ne s’apparente, même de loin, à la furie et la débauche d’animations et programmes proposés aujourd’hui. Le matin, il n’y avait même pas d’émission, l’écran de la télé affichait une mire désespérante.
Et puis une émission de trente minutes est apparue, en fin d’après-midi. Et surtout, un ovni (sans jeu de mots), un dessin animé venu d’un archipel très éloigné de la Corrèze (qui était aussi une île à sa façon), un truc avec un héros d’acier, un robot, Goldorak. Une révolution. Un séisme. Dans ma vie de gosse, il y a eu un avant et un après Goldorak. Et je crois pouvoir affirmer que c’est le cas pour un paquet de gamines et gamins de mon âge.
Je ne vais pas sombrer dans la nostalgie, même si c’est bon la nostalgie (ça dépend du dosage), mais je me souviens des retours de l’école, au pas de course, pour avoir le temps de goûter, faire les devoirs et se planter devant la télé à l’embonpoint certain en attendant avec ferveur l’apparition du déjà mythique robot. À la coupure de deux secondes précédant le lancement du dessin animé, je retenais ma respiration, puis les premières notes du générique nous mettaient dans un état de frénésie et d’excitation jamais vues. De la pure transe, yeux exorbités, souffle court, sudation importante. Je conserve de ces années, de ces fins d’après-midi, un souvenir vivace que la vision d’un simple verre à moutarde à l’effigie de Goldorak suffisait à raviver même deux décennies plus tard.
Mais contempler des verres à moutarde nourrit peu la nostalgie, elle réclame plus de matière. Au cours des années 90, je m’étais procuré une compilation des meilleurs génériques des années 80 et bien sûr les différentes musiques et chansons en l’honneur du prince d’Euphor y figuraient. Ça me faisait briller le vernis des souvenirs. Enfin, il n’y a que quelques années, la série animées fut disponible en coffret. Libération, joie. Plaisir infini. Plaisir de partager ce monument d’enfance avec mes propres enfants. Et devinez quoi ? Ça a fonctionné, et plutôt deux fois qu’une.
Cette très longue introduction pour vous dire que lorsque j’ai aperçu cette BD, je n’ai pas réfléchi. J’étais curieux de retrouver un univers, celui de Go Nagaï, le créateur, mais aussi j’avais envie de voir ce que ces fans (parce que les créateurs de la BD sont tous des fans) avaient fait avec cet héritage que nous avons tous en commun. Encore une preuve que la création, la culture, sous toutes leurs formes sont des biens communs qui forment un socle fertile.
Disons-le clairement (vous venez de vous fader les élucubrations d’une vieux con, vous avez donc le droit de savoir), cette BD est une superbe réussite. Partout dans les pages, on sent une chose : l’immense respect des cinq individus à l’ouvrage pour Goldorak, pour l’oeuvre et pour Go Nagaï. Ça transpire de chaque planche, c’est beau et touchant. La grande performance c’est d’avoir réussi à concilier ce qui existait et ce qui a été imaginé sous l’ouvrage des cinq fans cités en ouverture. Ils se sont appropriés cet univers unique, l’ont travaillé, fait évoluer. Ils l’ont magnifié.
Cette BD démarre une décennie après la fin du dernier épisode de la série animée. En tant que lecteur, nous avons donc un pied dans le passé et un pied plus proche de nos jours. La guerre est finie, Vega a été détruit, la terre vit en paix. Actarus et Phénicia sont repartis sur Euphor. Alcor et Vénusia sont dans la vie active (comme s’il existait une vie passive), pas mal de choses sont différentes. Mais ça dissonne sur la lune. Une expédition d’astronautes fait une découverte stupéfiante.
Je n’en dirai pas plus, même sous les quolibets de Rigel du haut de sa tour éolienne. Cette BD résonne très fort dans l’actualité. Déjà, en son temps, Goldorak s’était montré très novateur. Même si la forme narrative des épisodes était toujours la même, avec ce côté manichéen, (mais qui plait aux enfants, ça les rassure de savoir que des gentils les protègeront des méchants), Goldorak, Actarus plus précisemment, c’est un migrant qui fuit la guerre et la mort. Son peuple a été génocidé, sa planète dévastée. Accueilli par un terrien, il va montrer sa gratitude en combattant des envahisseurs venus de l’espace. Ce thème est repris dans la BD, mais avec une profondeur supplémentaire, un travail sur le peur de l’autre et ce que cela engendre de souffrances et de destructions, d’incompréhensions. Ce Goldorak de papier 2021, propose une réflexion sérieuse sur le travail de sape de la haine (et là, on rejoint la philosophie et le thème principal de l’univers Starwars), le poids des regrets, des remords, l’importance vitale d’un lieu où vivre, de ce qu’il est possible de faire sur les débris du passé.
C’est beau, c’est posé, c’est chiadé. L’angle d’attaque des scénaristes est extrêmement bien trouvé, notamment en ce qui concerne l’envahisseur et ses motivations. Voilà pour le fond.
La forme est tout aussi importante. Et là, c’est festival ! les couleurs émerveillent, c’est juste ce qu’il faut et là où il faut. Les planches se répondent, de prolongent, s’interrogent. Les personnages possèdent leur propre identité visuelle sans pour autant trahir la génèse. Et puis les gourmandises, les madeleines, disséminées tout du long, ici une photo ancienne, là un site légendaire, rien ne manque pour nourrir l’enfant qui patientait en nous depuis 1978.
Cerise sur le gâteau, Golgoth sur la lune, plusieurs pages à la fin racontent l’aventure de cette conception, de la prise de contact avec le créateur jusqu’à la finalisation. Les choix qui ont été faits, les difficultés, la joie du travail collectif, la création quoi !
Il subsiste un seul mystère, que les cinq fantastiques n’ont pas résolu. On ignore toujours pourquoi Actarus fait un tour complet sur son siège lors du passage du vaisseau porteur à Goldorak. Des nuits blanches en perspective…
Seb.
Goldorak, Dorison/Bajram/Cossu/Sentenac/Guillo, Kana, 167 p. , 24€90.