Je mets au défi quiconque commencera ce livre de ne pas le terminer dans la journée, guettant chaque moment pour dévorer quelques courts chapitres, avancer dans le blizzard en Alaska à la recherche du « petit » qui s’y est perdu mais aussi partir à reculons, dans le passé des quatre principaux protagonistes qui ne se sont pas retrouvés sur ces terres difficiles par hasard…
La rudesse des éléments frappant de plein fouet des vies cabossées donne à ces pages une force peu commune. La nature met les hommes au pied du mur, la blancheur de la neige et le froid saisissant faisant ressortir des vérités refoulées depuis bien trop longtemps.
Grandiose 1er roman paru aux éditions de L’Olivier qui nous ont décidément concocté une rentrée littéraire de haut vol.
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« Je l’ai perdu. J’ai lâché sa main pour refaire mon lacet et je l’ai perdu. Je sentais mon pied flotter dans ma chaussure, je n’allais pas tarder à me déchausser et ce n’était pas le moment de tomber. »
« Rétrospectivement, je crois que j’ai senti que quelque chose ne tournait pas rond. C’est un peu comme lorsque vous avez la sensation qu’un insecte vous chatouille l’oreille. Vous faites un geste pour vous en débarrasser, mais en réalité c’est une alarme, votre alarme interne, réglée au strict minimum. »
« Si le Seigneur m’entend, je jure solennellement que je ne boirai plus une goutte d’alcool. J’ai tellement mal à la tête avec le truc que ce salopard m’a fait bore. Appeler ça de l’eau -de-vie, c’est vraiment se foutre de la gueule du monde. Je sens plus ma gorge et j’ai le bide en vrac. C’est à vous donner l’envie de virer bonne sœur même si j’ai pas l’attirail pour ça. »
« Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit avec ce temps. Le vent souffle tellement fort autour de la maison que je ne sais pas comment elle tien encore debout. J’ai l’impression que les murs sont pris dans un étau entre la poussée des rafales et la neige qui s’accumule. Dieu sait comment je vais réussir à en sortir quand tout sera fini. »
Il y a Bess, il y a Benedict, il y a Cole, il y a Freeman.
Ils sont quatre, ils prennent la parole chacun leur tour, dans des chapitres courts ou très courts, deux trois pages, quelques fois quatre.
Il y a un garçon, il y a une vieille dame, il y a un frère.
Il y a le blizzard en Alaska.
Il y a des disparitions, du garçon dans le blizzard, du frère disparu de partout sauf des mémoires, d’un fils dans une guerre.
Ils sont quatre à découper leurs silhouettes dans la neige et c’est un découpage rudement bien organisé. C’est un rythme super bien balancé, finement équilibré. Tu te balades de tête en tête, et ça construit une histoire. Tu avances dedans, curieux, intrigué par ce qui se dessine de page en page. Tu avances comme on bascule ses appuis d’une jambe sur l’autre quand on randonne en raquettes et que le paysage se découvre à mesure de tes pas. Tu avances et tu vois se tracer comme sur une carte vierge les empreintes de chacun, de chacune. Se dessinent peu à peu leurs trajectoires. Jusqu’à converger. Mais chut.
Ils sont quatre hommes dans un coin extrême, dans une nature extrême, dans une saison extrême. Dans la tête de l’un, on ne sera pas (et c’est tant mieux). C’est depuis les autres qu’on l’entend.
Elle est seule femme. Mais que venait-elle faire dans cette galère ?
Un plaisir de lecture !
Pour en apprendre un peu plus et découvrir l’autrice, tu peux ‘écouter parler avec Marie Richeux dans Par les temps qui courent, ici : https://www.franceculture.fr/emissions/par-les-temps-qui-courent/marie-vingtras-ecrivaine
Blizzard, Marie Vingtras, Éditions de l’Olivier, 192 p., 17€.