S’il est encore peu connu du grand public, Winshluss (a.k.a. Vincent Paronnaud) jouit d’une réputation plus que flatteuse dans le monde de la B.D. depuis une bonne vingtaine d’années. Auteur au talent protéiforme, il a créé des albums visuellement époustouflants, parmi lesquels une incroyable adaptation muette de Pinocchio (Les Requins Marteaux), à des kilomètres de la vision proposée par Disney et qui lui valut le Fauve d’Or à Angoulême en 2009, ou Dans la forêt sombre et mystérieuse (Gallimard BD), récompensé par la Pépite d’Or du salon jeunesse de Montreuil en 2016.
C’est chez l’éditeur farouchement indépendant Les Requins Marteaux qu’il a fourbi ses armes et c’est sur le site de cet éditeur que l’on a trouvé ces quelques lignes qui nous semblent résumer à merveille son travail :
« Quelque part entre Walt Disney, Tod Browning et Phillipe Vuillemin, il a fantasmé des supermarchés, des parc d’attractions, des musées, des films de zombies, des studios d’animation. Il les a pervertis et magnifiés dans un même élan. Autodidacte et touche à tout, des fanzines palois aux galeries parisiennes, en passant par la cérémonie des Oscars, il traverse les milieux tel un monsieur muscle de fête foraine, tordant les médium sur la place publique, faisant se rejoindre les extrêmes, le joyeux et le cynique, le foutraque et la cohérence, le populaire et l’underground. »
Avouons-le, un ouvrage qui cite en exergue cette phrase d’Arthur Adamov, « (…) le seul problème est de savoir comment utiliser ses névroses« , ne peut que nous interpeller. Découpé en deux parties, le récit commence donc par « Après … », chapitre dans lequel le lecteur suit les errances d’un homme solitaire au sein d’un monde ravagé par une épidémie foudroyante, dans lequel survivent tant bien que mal quelques individus. Souvent trash et quasi muettes, les 100 premières pages mettent en scène un univers post-apocalyptique qui évoquera bien sûr les grands classiques du genre, à commencer par La Route de Cormac McCarty ou Je suis une légende de Richard Matheson.
La seconde partie du récit, logiquement intitulée « Avant … » pose les prémices de la catastrophe et livre surtout le portrait halluciné de Karl, psychopathe rencontré plus tôt. Misanthrope carburant aux amphets, Karl perd peu à peu toute maîtrise de ses névroses et liste sur des post-it collés partout dans son appartement les noms des personnes qu’il souhaiterait éliminer. La mort de sa mère semble lever les dernières barrières qui l’empêchaient de réaliser son grand projet …
Loin de s’assagir avec le temps ou de mettre un peu d’eau dans son vin, Winshluss noircit le propos et se montre plus nihiliste que jamais avec ces 200 pages de plongée dans un cerveau malade. Proche, dans l’esprit, de l’impressionnant Blast de Larcenet (4 volumes parus chez Dargaud), J’ai tué le soleil fascine et secoue, traversé d’explosions de violence auxquelles le trait de Winshluss donne une force et un réalisme suffisants pour que le lecteur en ressente les vibrations à la lecture de ces pages. Il est définitivement le dessinateur le plus punk et le plus doué de sa génération. Winshluss est grand, louons ses oeuvres !
Pour compléter la lecture de cette BD indispensable, vous gagnerez tout à vous plonger également dans les bouquins suivants :
Yann.
J’ai tué le soleil, Winshluss, Gallimard BD, 200 p. , 22€.