Nécropolis. De « Nekros », la mort et « polis », la ville. De quoi donner immédiatement le ton de ce polar, écrit en 1976 par Herbert Lieberman, et qui n’a pourtant pas pris une ride. Du bon polar, du grand polar, du qui ne se lâche pas, du qui fait oublier tout ce qui vous entoure, de la première à la dernière ligne. Entre Dashiell Hammet et James Ellroy, Herbert Lieberman reprend tous les codes du genre en le faisant également entrer dans une modernité impressionnante pour l’époque. Hormis quelques progrès scientifiques réalisés depuis les années 70, on pourrait jurer qu’il a été écrit hier.
« Polis », la ville. Car le roman a deux personnages principaux, et le premier, c’est une ville, celle de New York. La New York des années 70, fébrile, bouillonnante, violente, corrompue, que Lieberman décrit ici comme le neuvième cercle des enfers, décor parfait pour cautionner plus que jamais l’appellation de roman noir que l’on donne au genre policier. Celle qui, jour après jour, charrie son lot de morts brutales, violentes, animales.
« Nekros », la mort. Car le personnage principal n’est pas un policier au sens classique du terme. Paul Koning est médecin-légiste et règne en maître incontesté sur la morgue de New-York. Pointilleux – pour ne pas dire maniaque et obsessionnel -, brillant, têtu, il n’a pas que des amis au sein de la police, du palais de justice et des élus de la ville. Sa vie privée est d’une solitude absolue, sa femme est morte quelques années auparavant et sa fille, avec qui il entretenait des relations plus que tendues, a disparu depuis quelques semaines. La morgue au sein de laquelle il descend tous les jours ressemble paradoxalement à un sanctuaire dans la violence de la ville qui l’entoure et le désastre de sa vie personnelle. Là, face aux corps mutilés, brûlés, morcelés, il accomplit son office, cherchant indices, preuves, recomposant les corps et cherchant sans fin et sans horaires les causes des décès. Sorte de démiurge posthume, il inspire respect et crainte autour de lui. Sa phrase fétiche : « Le médecin-légiste sait tout, mais un jour trop tard ».
Et nous, lecteurs, on le suit, captivés et haletants, dans les trois enquêtes qui s’entremêlent : à qui appartiennent ces corps, puzzles humains, repêchés dans l’eau et dont la mort ne peut être naturelle ? Ce détenu, d’abord déclaré suicidé, est-il mort en fait des mauvais traitements de ses gardiens de prison ? Et enfin, qui a enlevé la fille de Konig, dont les hurlements au téléphone réveillent toutes les nuits le médecin-légiste, qui sombre peu à peu dans un cauchemar personnel terrifiant ? Sentiments personnels, enquête scientifique, corruption politique, style impeccable, tous les ingrédients du polar parfait sont réunis. Et au bout de ce dernier, c’est effectivement la mort, compagne parfaite qui ne trahit jamais, qui apparaît comme la seule solution, la seule issue possible.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Maurice Rambaud.
Mélanie.
Nécropolis, Herbert Lieberman, Points, 524 p. , 8€50.