Faire son entrée dans Femme forêt, c’est faire son entrée sous une cavalcade d’arbres, de plantes, d’insectes et d’animaux et, au milieu, l’humain, dans toute sa force et sa fragilité, niché au sein de cette Maison bleue.
Anaïs Barbeau-Lavalette cisèle ses phrases, le style est clair comme l’eau d’un torrent, les mots choisis comme pour en faire un bouquet d’émerveillement. Femme forêt porte son indéniable charme, conduisant, page après page, vers cet éblouissement littéraire.
Durant le confinement le plus long (…), l’auteure part avec son amoureux, un autre couple et cinq enfants. C’est le départ vers la campagne Estrienne. Anaïs Barbeau-Lavalette va y puiser de la force et y creuser son enracinement, elle, héritière d’une lignée faite d’abandons.
L’écrivaine écrivait à la fin de La femme qui fuit – lis cette enquête sensible sur sa mystérieuse, et fuyante, grand-mère, Suzanne Meloche – : « Je suis libre ensemble, moi. ». Au sein de son nid Femme forêt, celle-ci persiste et signe, comme plus sereine : « Nous sommes ensemble, tissés au reste des vivants. Fragiles. Enracinés. Miraculés. »
C’est vraiment intense sa manière de plonger ses mains dans ce territoire, d’écrire les découvertes enfantines, de caresser sa canopée, de côtoyer la mort et de vouloir ainsi célébrer notre passage.
Les petits et les grands deuils sont donc présents pour donner comme une puissance au vivant, l’éternel cycle est là pour poser la question du lien profond aux Autres et à la Nature, tous deux avec leur majuscule.
Le groupe, tel une meute de loups, est niché au fond d’un rang avec plusieurs âcres de forêt autour. « Des érables rouges, à sucre, argentés. Des pruches, des pins rouges, des pins blancs, des bouleaux gris et blancs, des chênes… Des chevreuils, des orignaux, des lynx roux, des ours, des carcajous et même des pumas, qui rôdent en secret. »
Dans cet écrin, des personnages tissent des liens, entre passé et présent, entre vie, fantômes et morts, sans pathos ni « niaisage de fond d’placard ». C’est un cycle et Femme forêt veut te célébrer le Grand Tout.
L’écho avec ses deux autres romans résonne avec cette enquête menée par notre narratrice, car, sur son territoire, une pierre tombale, d’une certaine Jeanne d’Arc – il y a bien un voisin nommé véritablement Clark Kent, alors pourquoi pas une Jeanne – fait partie des fondations de la Maison Bleue. Anaïs Barbeau-Lavalette part ainsi sur les chemins, à la rencontre des gens, de leurs histoires, de leurs mystères, tout comme elle découvre la profondeur et les révélations de cette frondaison l’entourant.
« (…) Une certaine espèce de luciole, la Photuris, a cependant appris une autre partition que la sienne. Ainsi, après avoir joué de sa lumière pour le mâle de sa propre espèce, elle pousse un rythme lumineux qui appartient à une autre espèce de luciole. Un mâle heureux d’avoir été reçu la rejoint pour célébrer le moment espéré, mais découvre la Photuris, femme fatale qui n’en fait alors qu’une bouchée. De ce repas, elle générera une substance chimique qui lui permet de se défendre contre ses propres prédateurs. »
Durant ce processus d’enracinement, Anaïs Barbeau-Lavalette nous entraîne vers sa véritable nature, ce qui lui donne cet épanouissement, cette liberté d’être, non pas dans le mouvement, mais dans la délicatesse d’un ancrage.
Elle y convoque l’amitié, l’amour, le désir, la maternité, la sororité, , l’engagement humain et social, la poésie de l’instant présent, la grandeur de l’infiniment petit, les failles et leurs lumières, la majesté de la Terre-Mère.
Dans ce roman, l’auteure s’entoure des pensées de Romain Gary – dont elle réalise Chien Blanc -, Francis Ponge, Romain Bertrand, Anaïs Nin, Federico García Lorca, Francis Hallé, Paul Valéry, David White, tout comme elle s’entoure de Boubou et Jacques, ses grands-parents maternels, de Mary, d’Hermann, Clark, Wendy, Toïvo, des enfants, des poules, des tantes maternelles, de l’amoureux, de Maggie et d’un peintre japonais.
Les petites histoires font les grands romans comme les ruisseaux les grandes rivières; Anaïs Barbeau-Lavalette y mène sa barque, tous ses sens en éveil, avec cette tendresse et cette humanité donnant à Femme forêt un goût d’éternel.
Fanny.
Femme forêt, Anaïs Barbeau-Lavalette, Marchand de Feuilles, 30€20.