« Tôt dans la journée du 6 juillet 2013, un train à la dérive transportant 72 citernes remplies de pétrole brut déraille près du centre-ville de Lac- Mégantic, au Québec, causant ainsi l’explosion des citernes et l’inflammation du pétrole. L’événement cause la mort de 47 personnes et la destruction de plusieurs bâtiments et infrastructures du centre-ville. Quatrième catastrophe ferroviaire de l’histoire du Canada en termes de morts causées, le déraillement entraîne des changements dans les règles de sécurité liées au transport ferroviaire et mène à des poursuites judiciaires contre l’entreprise et les employés impliqués dans l’accident. Plusieurs années après le déraillement, la reconstruction se poursuit et bien des résidents de la ville demeurent en proie au stress post-traumatique. » – Source : thecanadianencyclopedia.ca
Présentée par son éditeur comme « auteure, recherchiste et militante », Anne-Marie Saint-Cerny est arrivée à Lac-Mégantic cinq jours après le drame. Au bout de plusieurs mois de rencontres et d’investigations, elle a publié un essai, Mégantic, récompensé par trois prix littéraires québécois, soulignant la qualité de son travail. L’idée d’adapter cette enquête sous forme de BD n’était sans doute pas une évidence mais on conviendra bien volontiers que le résultat est à la hauteur des enjeux, emmené par les superbes illustrations de Christian Quesnel. Il y a d’ailleurs ici un indéniable paradoxe dans le fait de parvenir à donner une certaine beauté formelle à des images extraites de cette tragédie mais il contribue à donner du poids à cet album.
Dans une postface intitulée Mégantic, le triste récit d’un conte capitaliste parfait, Anne-Marie Saint-Cerny souligne que, dès les premières heures après l’accident commençait à émerger un réel décalage entre les infos et discours officiels et la réalité objective des faits. Puisqu’il était si facile de désigner un coupable et de le jeter en pâture aux médias, l’explication officielle fit donc porter au conducteur du train l’entière responsabilité de la catastrophe. Mais comment un homme seul aux manettes d’un convoi de 72 wagons chargés de pétrole aurait-il pu empêcher l’accident ? Cette politique du one man crew mise en place par certaines grandes compagnies ferroviaires avait pour seul but de faire des économies, quitte à ce que ce soit sur le dos de la sécurité.
Récit parfaitement accablant dans lequel les vrais responsables sont clairement désignés, Mégantic, un train dans la nuit est une enquête qui ne peut inspirer que révolte et dégoût devant l’attitude des hommes politiques et des chefs d’entreprise de l’époque. Thomas Harding, le conducteur du train, est la seule personne a avoir écopé d’une peine de prison… Pendant ce temps, le gouvernement du Canada, responsable de l’industrie ferroviaire, a refusé toute enquête publique sur la tragédie. Quant aux compagnies, dont la puissante CP, à l’origine de cette histoire, elles continuent à s’auto-réglementer et à s’auto-surveiller, menant elles-mêmes les enquêtes sur leurs dysfonctionnements quand il y en a, en toute liberté et en empêchant dans les faits toute investigation sérieuse …
Loin de ne jouer que sur l’émotion et la colère, Mégantic, un train dans la nuit tire sa force de l’accumulation de faits indéniables, d’extraits de discours d’hommes politiques et de chefs d’entreprise qui, lorsqu’on les assemble, offrent un tableau effroyable de ce que devient l’économie capitaliste quand on en pousse les principes à bout, au mépris de la vie humaine. Et même si des voix demandent encore que justice soit faite, conscientes que le coupable qu’on leur a désigné est une victime comme elles, les vrais responsables continuent leurs exactions avec l’assentiment du gouvernement.
Yann.
Mégantic, un train dans la nuit, A.M. Saint-Cerny / C. Quesnel, Écosociété, 96 p. , 22€.