« Dimanche matin, 7h40, cinquième semaine de confinement, le soleil monte paresseusement derrière les petits immeubles et les pavillons qui bordent la route. Pas une voiture, pas un joggeur, pas un lève-tôt pour promener son chien. Les habitants de la ville sont tous morts. Les soignants n’ont pas réussi à les sauver. Ça ressemble à ça. »
Beau projet s’il en est, ces Chroniques de la place carrée ont démarré l’an dernier sur les chapeaux de roue avec Mathilde ne dit rien, qui avait marqué une partie de l’équipe, donnant lieu, chose rare, à une triple chronique que vous trouverez ici. L’auteur (également connu sous le nom de Grégoire Courtois) et l’éditeur annoncent un volume par an, au mois de janvier, et force est de reconnaître que si le niveau reste le même on attendra les prochains avec une certaine impatience.
Monzelle, sa place carrée, son hôpital, ses dealers, ses habitants, jeunes et vieux, Monzelle, où se côtoient solitude et solidarité, espoirs et déceptions. Une ville indécise de la France périphérique. Un microcosme au sein duquel chacun(e) cherche sa place. On croisera ici Laura, infirmière, amoureuse de Marion, femme mariée. On y croisera aussi Tonio, Lounès ou Bolleg, dealers locaux en quête du gros coup qui donnerait à leur vie l’élan qui lui a cruellement fait défaut jusque-là. On fera également la connaissance du Manouche qui vit sur son terrain au milieu d’un bordel innommable, de Thierry, jeune père en galère qui peine à payer les couches de sa fille ou d’Idriss et Zoé, gamins qui vivent là et observent l’étrange manège des adultes.
Construit en une succession de courts paragraphes où alternent les points de vue et les situations, Héroïne s’empare du lecteur dès les premières pages avec une intensité que l’on n’attendait pas. Qu’il s’agisse d’une confrontation entre dealers ou d’une nuit à l’hôpital sur les pas de Laura et de ses collègues, Tristan Saule installe une tension véritablement palpable à laquelle il est impossible de résister. Si le récit démarre quelques mois avant l’arrivée du virus en France, c’est pendant le premier confinement, en mars 2020 donc, qu’il se déploie véritablement et prend toute sa force. Ce contexte singulier et les nouvelles habitudes de vie qu’il engendre, ajoutées à l’inquiétude causée par la propagation du virus offrent un cadre parfait aux événements qu’imagine l’auteur.
« Le silence est inquiétant. Il ressemble à un type bien sapé, en costume et noeud papillon, qui prendrait ses aises dans le quartier. Le silence, depuis le début du confinement, fait cet effet-là. Il détonne. Il n’a rien à foutre ici. »
Parfaitement crédible dans chacun de ses aspects, Héroïne offre en particulier une plongée en apnée dans les services d’urgences de l’hôpital et restitue brillamment l’ambiance survoltée qui y règne sous la pression imposée par la pandémie mais également la solidarité entre collègues, l’épuisement général et les remises en question quotidiennes. Ces pages sentent le vécu et apportent indéniablement de la force à un récit qui n’en manque déjà pas.
Suivant les parcours de plusieurs habitant(e)s du quartier, Tristan Saule tire les ficelles avec une habileté jamais prise en défaut et croise les trajectoires de ses protagonistes au sein d’un quartier dont on finit par avoir l’impression de connaître chacun des habitants et des recoins. Ce mélange de réalisme cru et de virtuosité romanesque assumée fait d’Héroïne un roman noir et social, électrisant de bout en bout, empreint d’une empathie certaine pour celles et ceux qui tentent de tirer leur épingle d’un jeu dans lequel ils ne font pourtant pas figures de favoris.
Yann.
Héroïne, Tristan Saule, Le Quartanier / Parallèle Noir, 350 p. , 22€.