Auassat, à la recherche des enfants disparus est une enquête qui brûle les mains, j’y ai corné les pages, quasiment une sur deux, voulant retenir les noms, les faits, les évènements.
« À Pessamit, les pères Archambault et Lesage.
À Uashat mak Mani-Utenam, Provencher.
À Ekuanitshit, Delaunay.
À Nutaskuan, Lapointe.
À Unamen Shipi et Pakua Shipi, Joveneau.
À Wemotaci, Raynald Couture.
À Manawan, Clément Couture, Houle et Meilleur.
Dix Oblats, oui, dix, qui auraient agressé sexuellement femmes ou enfants.
Je me doute bien que ma quête n’est pas terminée. »
Lors de diverses lectures et quelques rencontres, j’ai su les noms des victimes, même si je n’aime pas ce mot car je sais qu’il emprisonne. Rarement j’ai entendu le nom des bourreaux. Dans Auassat – « les enfants » en innu – c’est le cas. Anne Panasuk énonce ces noms et les lieux, pour ne plus faire silence et aider à la reconstruction, la réhabilitation d’enfants devenus femmes et hommes, brisés par la honte, les non-dits, la déconsidération.
Cet ouvrage fait suite au balado « Histoires d’enquête: chemin de croix » que tu peux écouter sur le site de Radio Canada.
Auassat est un document te donnant envie d’aller cracher sur quelques tombes, ou certains personnages encore vivants, nichés sereinement, protégés par leur communauté religieuse.
Anne Panasuk, aidée par les survivantes et survivants, lâche une bombe, et c’est tant mieux.
L’auteure fut d’abord anthropologue, élève de Rémi Savard. Puis elle se dirigea vers le journalisme en militant pour un comité de soutien aux nations autochtones. Anne Panasuk s’attache donc aux faits et à leur chronologie.
« Au début des années 70, des enfants autochtones ont disparu après avoir été envoyés à l’hôpital sans leurs parents. Certains, déclarés morts, ont été adoptés; plusieurs ont perdu la vie sans que leurs familles en soient averties. Leurs proches ne les ont pas cependant jamais oubliés et ils ont confié leur mémoire à Anne Panasuk, qui s’est lancée dans l’enquête dès 2014. »
D’un premier abord, tu pourrais avoir l’impression de rentrer dans un récit froid, austère, ponctué de phrases courtes, mais l’auteure s’attache à l’observation de ses ressentis, j’y ai senti le souhait d’une transmission à son lectorat, de nous faire éprouver ce cheminement éprouvant appartenant à toute une société et non pas qu’à une femme entretenant depuis longtemps une relation forte avec la Côte Nord et ses habitants.
« Mais plus j’avance, plus c’est sombre. Et je sais que je ne veux plus faire demi-tour. Je n’ai pas vraiment le choix. Il n’y a qu’un chemin. Et l’obscurité qui s’intensifie.(…)
J’aime toujours retourner sur la Côte-Nord. J’aime ce paysage de démesure, les forêts vertes à perte de vue et le fleuve qui vient mer. (…) J’aime surtout le peuple. Les pêcheurs (…) et les Innus que j’ai découvert dans la vingtaine et qui m’ont appris tant de choses. Je dis souvent que je ne serais pas devenue mère si je n’avais pas côtoyé les Innus et vu l’amour qu’il portent à leurs enfants. Connaissant cela, il paraît doublement absurde que les enfants tant chéris aient disparu, que les autorités ignorent la détresse de leurs parents. »
Auassat n’est pas un feu enragé ni une pêche d’évènements glauques mais le compte-rendu d’une enquête et d’une quête brisant un silence assourdissant. Sans mauvais jeu de mots, Anne Panasuk brise la glace, dérange ceux se croyant impunis, convoque les mémoires, se brûle à la douleur des parents, des frères, des sœurs, des disparu-e-s, confronte le mensonge éhonté, met en présence le racisme ambiant, dénonce le système bien huilé mis en place à l’époque, obsédé par le projet d’assimilation forcée, sûr de sa « bonne parole ».
Dans Auassat , tu comprendras l’abîme séparant les communautés autochtones du pouvoir « blanc », j’y ai ressenti cette détresse et cette rage et j’ai avancé sur un chemin qui explose en masse les préjugés; de quoi ne plus te rendre aveugle.
En préambule de ce récit documentaire, j’ai retenu cette phrase de Réginald Flamand, Atikamekw de Manawan: «Si on ne fait rien, cela va nous brûler, cela va nous tuer. »
La plaie est certes vive mais la parole se libère, le traumatisme intergénérationnel est là mais les voix s’élèvent, celles de ceux ne voulant plus subir mais combattre l’hydre.
Anne Panasuk se fait l’écho de ce cri déchirant leurs nuits.
Le chemin est encore long vers la reconnaissance, toutefois voici un récit nécessaire puisqu’il amène au dialogue, vers cette vérité nécessaire et absolue.
Alors je me demande: À quand, pour ces communautés autochtones profondément croyantes, le pardon de la part des plus hautes instances religieuses ? Jusqu’à quand devront-elles attendre ?
Auassat, à la recherche des enfants disparus n’est ni un roman au long cours ni un recueil de nouvelles trépidantes mais il m’a provoqué cette émotion vive, étreint le cœur, pris aux tripes.
Ce genre d’ouvrage que tu as envie de mettre entre toutes les mains, des plus ou moins jeunes, des collégiens et des lycéens surtout, quelque soit la communauté, la couleur de peau ou le pays, pour provoquer le dialogue, s’affranchir du silence, réfléchir à l’idée de Bien commun, conscientiser les rapports de force, énoncer la brutalité du racisme, soigner les traumatismes.
« – Mon nom, Awashish, ça veut dire « enfant », dans notre langue. Dans mon cas, c’est atikamekw. Uashish chez les Innus. Awazis dans l’Ouest canadien. La racine, c’est « lumière ».
(…)- Et comment on appelle les curés alors?
– Mekote korew.
-ça veut dire quoi?
-ça a rapport avec l’obscurité. tout ce qu’il touche devient noir. Mekote: noir. Korew, ça a rapport à une flamme.
-Les enfants sont des êtres de lumière…
-Oui.
-Et le curé, la flamme noire qui a éteint les êtres de lumière.
(…) »
Fanny.
Auassat, à la recherche des enfants disparus, Anne Panasuk, édito- Gallimard 186 p., 25 euros.