« Viscéral et visionnaire, férocement beau ». Moi qui trouve que le bandeau est la pire invention de l’histoire du livre, je dois dire que pour une fois je partage entièrement l’avis qui se trouve sur la (magnifique) couverture du livre de Sally Mann – et pas seulement parce que ces mots sont de Patti Smith. La lecture de Tiens-toi bien ! s’apparente à une expérience étonnante, une plongée dans l’univers d’une femme et d’une artiste fascinante, et c’est férocement aussi que je vous invite à la vivre.
Si vous connaissez déjà Sally Mann, c’est par son œuvre photographique, qui a notamment fait l’objet d’une exposition au Jeu de Paume à Paris en 2019. Mais c’est la première fois que celle qui noircit des carnets entiers depuis qu’elle est très jeune franchit le cap de l’écriture pour publier en 2017 cette autobiographie, que les Éditions Phébus ont eu l’excellente idée de traduire et publier en France. Et l’on découvre alors que l’écrivaine n’a rien à envier à la photographe.
Sally Mann est née en 1951 à Lexington, en Virginie. Mais non, n’ayez pas peur, son autobiographie ne ressemble en rien à un déroulé chronologique qui enchaînerait les faits de sa naissance à nos jours. Car Sally Mann est intelligente, à part et étonnante, et son livre lui ressemble. Si le tableau global remplit toutes les fonctions habituelles du genre – les origines, les lieux, la famille, le trajet d’une vie – la façon de raconter sort du cadre, et le titre à lui seul Tiens-toi droit ! résume ironiquement le programme de sa vie : sortir du cadre (ce qui, vous en conviendrez, n’est pas banal pour une photographe).
Tout dans ce livre est passionnant, constamment et abondamment illustré par de magnifiques photographies majoritairement en noir et blanc, que ce soit des archives familiales ou celles, plus tardives, fruits du travail artistique de Sally : le récit de ses jeunes années, enfant puis adolescente rebelle (elle refusera d’enfiler un vêtement pendant les premières années de sa vie puis connaîtra des années lycée… animées), sa si belle histoire d’amour avec l’homme de sa vie, qu’elle épouse à 19 ans contre l’avis familial, sa découverte de l’art et de la photographie, la relation avec ses trois enfants et avec ses propres parents, incarnation de la famille du Sud.
Le Sud, justement. Car au-delà de sa propre histoire – et c’est ce qui rend ce livre définitivement passionnant – c’est l’histoire d’un territoire, celui du Sud des États-Unis, et celle d’un pays – les États-Unis, que Sally raconte. Que ce soit à travers la description des relations familiales (elle reçut plus d’amour de sa gouvernante noire que de sa propre mère, mais ne réalisa que très tard ce que fut vraiment la vie de cette femme, qui dut mettre de côté sa propre famille pour travailler au service des Munger, les parents de Sally) ou dans son travail artistique (les clichés des lieux de la guerre de Sécession), elle nous donne à voir un pays fortement marqué par la ségrégation et les différences raciales, et par là-même, la dimension politique de ses photos.
Pour parfaire le tout, ce livre est également source de réflexion sur la pratique artistique. Les interrogations et réflexions de Sally Mann sur le sujet sont passionnantes, elle qui fut notamment au cœur d’une violente polémique sur les clichés qu’elle réalisa pendant de nombreuses années de ses enfants – on lui reprocha son rapport à la nudité ou encore de les avoir instrumentalisés. Le geste artistique est donc constamment interrogé, dans un rapport à la fois très esthétique (Sally Mann met en œuvre des pratiques extrêmement recherchées) mais aussi très frontal – le rapport à la mort, notamment, interpelle et bouscule.
Bref, je pense que vous l’aurez compris : je vous recommande plus que vivement de vous jeter sur cet ouvrage qui vous donnera également envie, juste après, de découvrir la merveilleuse œuvre artistique de Sally Mann.
Traduction Sylvie Schneiter.
Mélanie.
Tiens-toi bien ! , Sally Mann, Éditions Phébus, 512 p. , 31€.