C’est d’abord un roman qui possède un rythme, soutenu et grave comme le son d’un tambour de cérémonie; un roman qui offre aussi la grâce par son écriture.
Fille Rousse est née au milieu d’une guerre entre les Yeux-Rouges et les Longues-Tresses. Fille Rousse est née d’une mère mortellement hallucinée sous les effets du Qaa, fruit de la discorde. Fille Rousse est venue au monde dans les mains ensanglantées d’un chamane.
Dans la taïga canadienne du XV ème siècle, Guillaume Aubin nous plonge au sein de la culture animiste, avec un regard acéré et passionné.
« Le lendemain, je prends la route. Je voyage creux. Le ventre creux, les pieds creux, la tête creuse. L’homme plein roule sur le monde sans voir qu’il écrase les bêtes et les plantes, quand l’homme creux récolte le soleil comme la sève de l’érable, goutte à goutte, et laisse le froid et la nuit s’infiltrer en lui comme un ami. J’ai mes peaux de serpents et mes poupées de bois. J’ai mes plumes de corbeau et mes colliers de dents d’ours. Mais je n’ai pas de pensées pour m’alourdir. Il n’y a qu’ainsi qu’on rencontre l’invisible. »
Fille Rousse est une enfant des chemins, de la forêt, sa véritable matrice. L’héroïne de L’arbre de colère définit peu à peu ce que peut être sa liberté, en dépit des jalousies, des regards torves et de certaines incompréhensions. Fille Rousse s’affranchit des codes, joue dans les arbres, pêche, chasse, fait corps avec la nature environnante. Elle mord le cœur d’un animal agonisant comme elle peut mordre lorsqu’on l’empêche d’être. Fille Rousse est alors désignée comme une « Peau mêlée ».
Guillaume Aubin fait ici référence au 2S – « two spirit » – « bispiritualité » – « (…) qui a été traduit et adopté par les activistes autochtones lors de la troisième conférence annuelle intertribale amérindienne, gay et lesbienne, qui s’est tenue à Winnipeg en 1990. L’activiste Albert McLeod a proposé l’expression « two spirit »pour désigner la communauté LGBTQ autochtone » ( Source – blog-grsmontreal.com )
Fille Rousse devient alors cette personne bispirituelle pouvant participer à des activités désignées comme masculines ou féminines, indépendamment de son genre.
Fille Rousse apprend la liberté et y goûte avec avidité. L’écriture de Guillaume Aubin nous fait ressentir cet élan de vie, et c’est un souffle puissant qui s’empare alors de son histoire.
L’arbre de colère te fait vivre un chant mêlé de guerre, d’émancipation, de traditions ancestrales, d’évolution: de l’enfance à l’âge adulte, mais aussi d’un territoire vaste comme les rêves à celui d’une terre quadrillée peu à peu par les Barbes – nom donnée aux colons – qui s’approprient, lentement mais sûrement, cet espace.
Tu peux ouvrir l’ouvrage à n’importe quelle page, tu seras emporté-e par la magie littéraire de l’auteur. Au sein de ce récit mêlant violence et beauté, tu percevras un talent, mélange de Joseph Boyden et Bérengère Cournut, rien de moins.
« La mort s’annonce de loin et se raconte d’arbre en arbre. C’est le chant des guerriers qui rejouent le courage des défunts. C’est le bruissement des pleurs des femmes. Ce sont les percussions. Nous savons déjà. (…) Ainsi se consomme le deuil, dans ce pays. Il faut le chant, il faut la douleur collective. Il faut que les poitrines cognent comme un seul tambour. Il faut gonfler la beauté et le courage. Il faut tirer les larmes même à ceux qui n’ont aucun lien de famille. pour laver une grande fois le cœur et laisser partir ceux qui sont appelés au loin. Ils sont montés sur l’île, ils disent. Et l’île s’ouvrait à eux dans une grande lame de soleil. Ils n’ont pas eu peur. ils ont cherché le qaa sans jamais le trouver. Pourtant l’arbre de qua est un joli cœur. Il a le rouge facile. »
Fille Rousse combat, désire, résiste, provoque, fait corps avec ce Grand Tout. Guillaume Aubin nous transporte dans une odyssée intime faite de mystères, de peurs, de grandes joies, d’intenses combats, de désir flamboyant, d’amour, de désillusion, de rage de vivre. C’est le récit épique qu’une femme qui se veut libre, avant Tout.
Un grand premier roman.
Fanny.
L’Arbre de colère, Guillaume Aubin, La Contre-Allée, 343 p. , 21€.