Tel un chat qui retombe sur ses pattes et quitte le toit brûlant du Le dit du mistral – Coup de coeur Août 2020 -, Olivier Mak-Bouchard nous prend délicatement entre ses petits crocs afin de nous ramener sur sa terre provençale.
Et oui, le Hussard passe, l’air de rien, entre les pages 313 et 314.
« Devant nous un chat a traversé la cour et a sauté sur le muret du réfectoire. Tout blanc, sauf le bout des pattes, comme s’il avait marché dans du mazout. Je ne l’avais jamais vu auparavant, je ne sais pas à qui il était. Il devait commencer à faire le petit tour de son territoire. J’ai pensé à Kodak. Vieux frère, si tu me vois de là où tu es, ouvre un œil pour nous, et le bon. »
Le Hussard passe donc le relais à Kodak, ou est-ce l’inverse, lui, le bon vieux matou aux nombreuses vies dont l’heureux « maître » nous raconte cette incroyable histoire.
C’est de la magie ce roman. Volontairement, je n’ai pas envie de t’écrire « roman d’anticipation », parce que cela ne colle pas à l’humeur du récit. Peuchère, c’est le restreindre.
Alors, pour t’expliquer tout cela, je te prends par le bras et t’emporte sur le Plateau d’Albion, là où tu peux sentir le romarin, la garrigue, l’odeur de la pinède, entre Vaucluse, Drôme et Alpes de Haute-Provence.
Bon, c’était aussi sur ce même Plateau qu’étaient disposées dix-huit zones de lancement de missiles atomiques, mais tout de suite cela te fait moins rêver qu’un champ de lavande.
Soit.
Et tu peux penser que je m’égare.
Soit.
Mais sache qu’au milieu de ces galeries de plusieurs kilomètres – où se trouvait le bouton nucléaire français – s’est désormais mis en place un sacré laboratoire international dont certains thèmes de recherches touchent au « rayonnement cosmique géophysique, aux ondes (déformation, translation, rotation), à la dynamique des transferts ou des phénomènes transitoires haute énergie dans l’atmosphère » (Source: « Le plateau d’Albion: du fracas de l’atome aux chuchotements souterrains » de Guillaume Origoni pour « Slate »).
Là tu te dis que ça boulégue trop dans mon cervelet. Que nenni.
Le fracas des atomes est le cœur du Temps des grêlons ». Et oui, coquin de sort, ce n’est pas qu’une fable qui sent le thym ce roman, c’est une épopée qui prend le large.
À l’intérieur de ce livre se cachent des trésors dont une fin à te déclencher un feu d’artifice dans ta boîte crânienne qui te dira que « l’esperanço es lou pan di miserable » – « L’espérance est le pain du pauvre »-
Te voilà donc avec ce gamin qui aime sa terre. Une nouvelle fois, Olivier Mak-Bouchard te charme dès ses premières pages.
Notre narrateur… tu vas vite le porter contre ton cœur, avec sa fougue enfantine et son regard que tu imagines pétillant. Il, le pitchoun, avait « un papa qui développait les pellicules dans l’arrière-boutique et maman faisait le guichet ».
Désormais le papa n’est plus, la maman est « au four et au moulin » tout en aimant son fils comme un soleil. Ce fils qui gambade entre rêve et réalité, en compagnie de ses amis Gwendo et Jean-Jean, au sein de ce Luberon narré comme un Giono rencontrant un Pagnol. C’est gouleyant et puissant.
J’ai même eu ce rire et cette tendresse à me savoir auprès de cette jeunesse qui hume l’air frais de la vie. Parfois même une petite larme à l’œil, comme ça, survenue de souvenirs lointains.
Puis un jour, au retour d’ Ok Corral , ce grand parc d’attraction de Cuges-les-Pins où tu voyages dans le temps, l’espace – et les stéréotypes du genre – se fut « Le jour où le nuage a été plein comme un œuf ». Gwendo prend en photo l’indien sur son cheval et là… pas d’indien sur la photo.
Plus personne n’apparaît sur aucune photo.
Dès ce moment révélateur d’une société, c’est la débâcle.
Alors, on se réorganise,les illustrateurs-trices prennent le pouvoir de la représentation. Magritte dans l’esprit, n’est pas loin.
Le journal télévisé est présenté avec le portrait évolutif de Jacques Mansarde, sorte de J.P. Pernault, tenant chaud au cœur des foyers abasourdis et peu rassurés.
Le monde se réorganise sans le mode selfie, Narcisse ne peut plus se mirer dans l’eau de son bain.
Puis arrivent les premiers grêlons, énigmes métaphysiques.
Là, le monde s’emballe: comment accueillir ces rejetons, images photographiées du temps passé, perdues dans un lointain qui parait inaccessible ?
C’était sans compter sur notre pitchoun devenu grand gaillard au regard tendre. Lui, dans l’élan de sa simplicité, va apprendre à « illuminer » les grêlons, les raccrocher à la vie sur Terre, par le prisme d’un jeu de billes.
L’enfance, cœur de l’âme où – comme l’a voulu l’auteur en citant Hugo Pratt – « le temps et l’espace ne sont que des repères, non des limites insurmontables ».
Bien évidemment, notre bon vieux monde commence à avoir peur de ces débarquements inopinés, peur de l’autre, de la « masse naissante », peur du « grand remplacement », cette chose immonde qui fait perdre pied à l’humain et son humanité.
Olivier Mak-Bouchard entrelace passé et présent, voit au-delà des limites classiques du roman, bouscule une nouvelles fois les codes, avec talent.
La suite de l’histoire est passionnante, l’effet miroir est même impressionnant.
Notre petit héros de province croisera, notamment, le grêlon d’Arthur Rimbaud qui, lui-même, montera à bord du Bateau ivre; ce « Bateau ivre » qui, au début du roman, te fera rire avant de te faire chavirer.
Jusqu’au dernier moment, Olivier Mak-Bouchard te portera fort et loin sur ce Plateau baptisé par une Géante – 3970 ans après la création du monde, Albine, l’aînée des trente filles du roi de Grèce fut condamnée à s’exiler. Elle arriva sur une île déserte qu’elle nommera Albion -. Dans ses bras de géante, tu liras le destin de Peter et Lily.
Là, je n’ai pu m’empêcher de penser à notre narrateur, Peter Pan tentant de sauver la belle Tiger Lily, du clan Piccaninny, prisonnière du Capitaine Crochet, Mouche et Starkey.
Le temps des grêlons est une boite à surprises qui, comme un grêlon, a une structure en pelure d’oignon, formée de diverses couches de croissance, translucides ou franchement opaques.
Du grand art, une nouvelle fois.
Avec ma mention spéciale pour l’illustration de Phileas Dog en couverture: une sacrée artiste pour un sacré roman.
Fanny.
Le Temps des grêlons, Olivier Mak-Bouchard, Le Tripode, 340 p. , 20€.
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