L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Vivre vite, Brigitte Giraud (Flammarion) – Mélanie
Vivre vite, Brigitte Giraud (Flammarion) – Mélanie

Vivre vite, Brigitte Giraud (Flammarion) – Mélanie

Souvent, les enfants, aimant fuir la réalité, imaginent transformer ou maîtriser cette dernière avec leurs rêves les plus fous : « on dirait que… ». Et soudain, la vie est plus belle. Il semblerait, à la lecture du dernier livre de Brigitte Giraud, que la littérature ait ce même pouvoir de tenter d’infléchir le réel, même si c’est pour constater que parfois la vie ne l’est pas, belle. Ou alors, encore pire : qu’elle l’était et que, hop, juste comme ça, elle ne l’est plus, de façon violente, brutale, injuste, à hurler. Et le moins que l’on puisse dire c’est que justement, l’autrice ne la fuit pas, la réalité : elle y plonge, elle s’y immerge, elle met les mains dedans, elle l’interroge, l’ausculte, la triture dans tous les sens – et c’est bouleversant.

La vie de Brigitte Giraud a basculé le 22 Juin 1999, lorsque son mari Claude s’est tué à moto dans les rues de Lyon, victime d’un démarrage trop puissant de sa Honda 900 CBR Fireblade (jai bêtement recopié, je n’y connais RIEN en moto) . Vingt ans après, alors qu’elle s’apprête à vendre la maison qui aurait dû abriter leur vie de couple et de parents d’un petit garçon – ce lieu qui reviendra comme une matrice, un point de départ à l’écriture et un fil rouge tout au long du livre – , Brigitte Giraud se penche sur ce drame pour en interroger l’avant et imaginer ce qui aurait pu infléchir le cours de cette tragédie – dont chacun des nœuds, des ramifications, des décisions – grandes ou petites – , comme dans toute tragédie, ne fait que conduire à l’inéluctable. « Et si… »

Et si ces « Et si » à elle n’ont pas la légèreté et l’insouciance des jeux d’enfants, ils en ont la même magie : celle de faire revivre, à travers les mots, cet homme et cette vie tant aimés. Aucun voyeurisme, aucune tentative de grande leçon de vie sur ce qu’est la vie sans l’autre – cette liste de « et si » égrenée d’une écriture puissante et maîtrisée permet au contraire, de la plus belle des façons, de revivre l’avant, de dresser en creux le portrait d’un homme amoureux de sa femme et de rock and roll, d’un couple, d’un père attentionné, d’une vie heureuse, de lieux fondateurs et, par là-même, de bouleverser le lecteur qui mesure la violence de la perte – et se trouve renvoyé à ses propres peurs et obsessions, celle de la vie qui bascule sans que l’on ne puisse rien y faire. L’écriture comme ultime tentative démiurgique – et comme aveu de l’impuissance.

Photo : Pascal Ito.

Et je vous jure que, parfois, on a l’impression qu’elle va y arriver, Brigitte Giraud, par la seule force de ses mots, à faire en sorte que son homme parte cinq minutes plus tôt ou plus tard du bureau, qu’elle ne soit pas allée en déplacement à Paris ce jour-là et que Claude ne soit donc pas parti chercher leur fils à l’école, qu’elle ait pris le temps de l’appeler la veille au soir, qu’il ait écouté une chanson moins (ou plus) longue, qu’ils n’aient pas eu les clés de leur maison plus tôt que prévu, ce qui leur a permis d’abriter cette moto pour rendre service, qu’elle n’ait pas eu envie de déménager des mois auparavant. En disséquant la mécanique implacable qui depuis des mois avant le décès de Claude jusqu’à quelques secondes avant a conduit à sa mort, Brigitte Giraud nous renvoie en pleine face la grande roue de la vie et réussit le tour de force de convoquer à la fois le fatum des grandes tragédies de l’histoire littéraire et nos drames les plus intimes.

J’ai toujours aimé l’écriture de Brigitte Giraud, délicate, juste, forte et singulière, qu’elle évoque (pour l’une des premières fois de la littérature française, ce qui mérite d’être signalé) les conséquences de la guerre d’Algérie (Un loup pour l’homme), la maladie ou le deuil au sein d’une famille (Pas d’inquiétude, Une année étrangère), ou de façon commune à toutes ses oeuvres (vous avez compris, lisez-les toutes), les failles et les forces de l’être humain. Vivre vite ne déroge pas à la règle et pousse encore plus loin, à mes yeux, les qualités immenses de cette grande autrice qui ne tombe jamais dans le piège du pathos ou du nombrilisme ; en interrogeant si intelligemment ce que l’on pourrait appeler la tragédie du sort dans ce livre magnifique, Brigitte Giraud et ses bouleversants coups de dé qui jamais n’aboliront le hasard laisseront en vous, foi de moi, une marque inoubliable.

Mélanie.

Vivre vite, Brigitte Giraud, Flammarion, 208 p. , 20€.

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