» – Lieutenant, écoutez-moi. Toute cette affaire pue, mais je ne crois pas me tromper, vous êtes comme moi, vous cherchez la vérité, non ?
Le lieutenant Anastasis freine brusquement et range la Cherokee sur le bord de la route, le moteur toujours allumé.
– Si vous le dites, cherchons la vérité, à défaut de faire régner la moindre justice. »
La collection Fusion a vu le jour en mars 2021 au sein des éditions de L’Atalante (spécialisées en SF et fantasy). Emmenée par Caroline de Benedetti et Émeric Cloche, elle présente avec ce Mur grec son cinquième titre, signe d’une indéniable volonté de garder une production éditoriale maîtrisée. C’est donc, après Simone Bucholtz (deux titres avec son héroïne Chastity Riley), Anouk Langaney et Olivier Bordaçarre, le tour de Nicolas Verdan, journaliste suisse, d’intégrer cette collection dédiée au noir dans toute sa diversité.
Né d’un père suisse et d’une mère grecque, Nicolas Verdan vit aujourd’hui une partie de l’année à Athènes et entretient un lien très fort avec la Grèce. Revenant sur les événements qui secouèrent le pays à partir de 2008, cette crise financière qui le mit à genoux, l’auteur met en scène Agent Evangelos, policier proche de la retraite, amené à enquêter sur une tête sans corps retrouvée au bord du fleuve Evros, à la frontière gréco-turque. Au-delà de l’aspect inhabituel et particulièrement barbare du meurtre, le fait qu’il ait eu lieu au sein d’une zone militaire interdite rend l’affaire particulièrement délicate et sensible. Il est en effet question pour le pays de construire sur ces terres un mur de barbelés destiné à empêcher la venue des migrants et ce chantier soulève bien des convoitises. Si l’on ajoute à ces ingrédients un bordel pour soldats, quelques prostituées et du trafic d’êtres humains, on comprendra rapidement qu’Evangelos marche sur des oeufs.
Fort de sa connaissance aigüe des lieux et des gens, Nicolas Verdan embarque sans peine le lecteur sur les rives de l’Evros, dans une région méconnue mais éminemment sensible. Il y décrit minutieusement les différentes parties en présence, les motivations qui les animent, les contentieux qui les opposent. On y découvre ainsi l’agence européenne Frontex, mise en place au début des années 2000 avec pour objectif principal la surveillance et la protection des frontières des membres de l’Union. L’actualité récente, avec la démission en 2022 du directeur exécutif de l’agence suite à des accusations de violations des droits de l’homme, donne une lumière particulière au récit de Nicolas Verdan. Véritable panier de crabes à travers lequel tentent d’entrer en Europe bon nombre de migrants, cette région est attentivement surveillée par les pouvoirs publics, qu’ils soient locaux ou européens. Les intérêts en jeu sont suffisamment importants pour que la violence y soit omniprésente et Agent Evangelos en prendra la mesure durant cette enquête.
Nicolas Verdan offre ici un polar qui, s’il ne révolutionne pas le genre, permet d’appréhender l’ amère réalité d’une région méconnue par chez nous ainsi que, plus largement, le sort d’un pays maltraité par les lois de la finance et du marché, d’un peuple qui refuse de baisser les bras malgré les humiliations imposées par l’Europe, Allemagne en tête. Au centre de ce drame s’en joue un autre, tout aussi terrible, celui de celles et ceux qui tentent de gagner l’eldorado européen quel qu’en soit le prix et que l’on retrouve bien trop souvent au coeur d’un effroyable trafic d’êtres humains qui pourrait sembler impensable au XXIème siècle. On regrettera seulement cette couverture plutôt fade et peu attirante qui risque de faire perdre quelques lecteurs à ce texte qui méritait sans doute mieux, réflexion que l’on s’était déjà faite à la parution du premier roman de Simone Bucholtz …
– Ils disent ça, les Grecs, à la télévision, ils disent que la crise, c’est une fiction, quelque chose qui n’existe pas, je ne sais pas moi, une invention.
– Et vous, Polina, qu’est-ce que vous en pensez ?
– Ils disent que la crise c’est dans la tête et je crois qu’ils ont raison.
Yann.
Le Mur grec, Nicolas Verdan, Fusion / L’Atalante, 224 p. , 18€50.
Il va sûrement me plaire ce livre, il semble avoir été cuisiné avec les ingrédients que j’aime trouver dans un polar.
Pour la couverture, pas d’accord avec toi : bleu, ÉROS, mer, barbelé et ce gars en noir qui se trouve face à tout ça, ça me parle, ça me plait.
Merci pour ta chronique 😘
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