« Quand seront donc assouvies toutes vos ambitions, madame Pemberton ? demanda-t-elle, alors que ses collègues se pressaient autour d’elle.
Quand le monde et ma volonté ne feront plus qu’un » lui répondit Serena.
Si sa réputation de romancier n’est plus à faire par chez nous, on connaît moins le talent de novelliste de Ron Rash malgré la parution du superbe recueil Incandescences au Seuil en 2015. D’où le double intérêt de ce recueil qui, outre la novella qui lui donne son titre et remet en scène l’inoubliable Serena, propose six nouvelles appalachiennes oscillant à merveille entre humour et noirceur, tristesse et fantaisie.
Pour celles et ceux qui n’auraient pas lu Serena lors de sa sortie, le roman est disponible chez Folio et au Livre de Poche et on y fait la connaissance d’une femme au caractère plutôt bien trempé (c’est un euphémisme) qui, avec son époux, dirige d’une main de fer une société d’exploitation forestière en pleine expansion, éliminant sans le moindre état d’âme celles et ceux qui auraient la mauvaise idée de se trouver sur son chemin vers la fortune. Avec Plus bas dans la vallée, Ron Rash lui offre une nouvelle occasion d’afficher le manque total de scrupules et de sens moral qui la caractérisent.
L’histoire est simple. De retour du Brésil où elle était partie développer ses affaires après la mort de son époux, Serena se rend sur la dernière parcelle qu’elle possède dans les Great Smoky Mountains. Il ne reste que trois jours à ses employés pour achever de couper tous les arbres de cette parcelle, sans quoi leur patronne perdra de l’argent, ce qui n’est évidemment pas envisageable un seul instant. La pluie incessante, les serpents, l’épuisement des bûcherons sont autant d’obstacles avec lesquels l’impitoyable femme devra composer, ce qu’elle fera avec la hargne et l’insensibilité qu’on lui connaît.
Ne tournons pas autour du pot : cette suite est à la hauteur du roman initial, Ron Rash s’y montre une nouvelle fois brillant. Aussi court soit-il (110 pages à peine), le récit est riche en épisodes mémorables et le lecteur se retrouve immédiatement plongé dans le calvaire de ces hommes pourtant durs à la peine dirigés par une femme qui n’a d’autre religion que ses propres intérêts. Cette novella confirme avec éclat le talent de Ron Rash à camper un décor et des personnages plus vrais que nature et la réussite est au rendez-vous, à tel point que l’on ressent une pointe de frustration une fois sa lecture achevée, tant le texte se dévore d’une traite et peut ainsi sembler un peu court.
Des six nouvelles proposées ensuite, Les Voisins est indéniablement la plus poignante, celle qui prend le lecteur aux tripes par sa justesse et lui fait ressentir pleinement le poids infini de la Guerre de Sécession ainsi que l’impossible réconciliation des deux camps. Ici, le pardon est impensable et la bienveillance n’a pas sa place envers celles et ceux d’en face. Texte court et magistral, cette nouvelle est suivie par la tout aussi réussie Le Baptême où Rash met en scène un autre visage du mal. L’Envol touche au coeur également, comme Le dernier pont brûlé tandis qu’ Une sorte de miracle et Leurs yeux anciens et brillants offrent une touche de légèreté salutaire, le brin d’humour qui vient remettre les pendules à l’heure. Si l’on doit trouver un point commun à ces textes, c’est l’indéniable tendresse que semble éprouver Ron Rash pour ses protagonistes, son indéfectible attachement pour celles et ceux qui peuplent cette région du monde et tentent de garder la tête haute malgré les coups du sort.
Il serait dommage de bouder notre plaisir pour la simple raison qu’on garde une impression de « trop peu » une fois le livre achevé. J’aurais plutôt tendance à voir là le signe d’une nouvelle réussite à créditer au sieur Rash en attendant son prochain roman. Fortement recommandé, donc !
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Isabelle Reinharez.
Yann.
Plus bas dans la vallée, Ron Rash, Gallimard / La Noire, 228 p. , 19 €.
Ron Rash figure dans mes chouchous depuis le premier Un pied au paradis. J’en ai peut-être manqué un en route sur celui d’avant je crois. Mais là, je suis carrément tentée. Si j’arrive à ratatiner ma pile d’attente
Ha ha ha, on en est tous au même point avec ces piles ! Ratatine la tienne, celui-ci vaut largement le détour au même titre que « Stoneburner » également paru à la Noire.
je note, la pile est bien ratatinée, un ou deux restes, mais c’est écrire qui est dur, et il faut le faire dans la suite directe de la lecture, je rame, mon pôôôvre.