L’envie de partage et la curiosité sont à l’origine de ce blog. Garder les yeux ouverts sur l’actualité littéraire sans courir en permanence après les nouveautés. S’autoriser les chemins de traverse et les pas de côté, parler surtout de livres, donc, mais ne pas s’interdire d’autres horizons. Bref, se jeter à l’eau ou se remettre en selle et voir ce qui advient. Aire(s) Libre(s), ça commence ici.
Le Royaume désuni, Jonathan Coe (Gallimard) – Mélanie
Le Royaume désuni, Jonathan Coe (Gallimard) – Mélanie

Le Royaume désuni, Jonathan Coe (Gallimard) – Mélanie

Il y a finalement peu d’auteurs qui ont l’effet d’un doudou réconfortant, sorte de valeur sûre qui peut certes une fois de temps en temps nous décevoir un peu mais dont l’oeuvre globale renvoie à un seul mot : le plaisir. Pour ma part, Jonathan Coe est de ceux-là et réunit tout ce qui peut faire naître une sorte de bonheur archaïque de la lecture : un art du récit jamais démenti, un ton so british tellement délicieux, un mélange de rire désespéré, d’auscultation de nos sociétés peu reluisantes et de foi en l’être humain – bref, depuis que j’ai pour la première fois goûté à cette drogue douce il y a ô mon dieu de trop nombreuses années avec Testament à l’anglaise, j’ai toujours un petit frisson de joie lorsque j’apprends la sortie d’un nouveau livre de cet auteur.

Le royaume désuni ne fera pas exception à la règle : je me suis assise dans mon canapé avec le livre, l’ai ouvert, et la vie s’est arrêtée autour de moi jusqu’à ce que j’atteigne les dernières lignes – bouleversante d’ailleurs ces dernières lignes, et directement inspirées d’un épisode récent de la vie de Jonathan Coe mais je serais sans cœur de vous dévoiler pourquoi : lisez et vous verrez.

Comme à son habitude, Jonathan Coe aime jouer avec les différentes temporalités. Le livre s’ouvre au début de l’année 2019, alors que la jeune Lorna, musicienne de jazz, fait sa première tournée européenne en Autriche et en Allemagne, poursuivie par les angoissantes traces de l’épidémie de covid qui confinera chez eux une grande partie des habitants du monde quelques jours plus tard. Alors que les salles de spectacle ferment derrière elle les unes après les autres au lendemain de ses concerts, elle prend tous les jours des nouvelles de sa grand-mère Mary, désormais octogénaire et veuve, et qui vit seule dans sa grande maison de Bournville. Et c’est le vrai point de départ du roman : remontant le temps, le récit va alors relater la vie de cette vieille femme et de sa famille, chaque chapitre étant construit autour d’un événement marquant de l’histoire du Royaume-Uni, depuis le jour de la victoire du 8 mai 1945 jusqu’au 75ème anniversaire de cette même victoire, le 8 mai 2020 – en pleine épidémie de covid, donc. Entre les deux, toute l’évolution de la société anglaise est passée au crible à travers le destin de cette famille et de ses différents membres, qui vivront le couronnement de la Reine Elisabeth II, la finale de la Coupe du Monde de 1966 entre l’Angleterre et l’Allemagne, ou encore la mort de Lady Diana.

Photo : D.R.

Évolution politique, sociale mais aussi économique : le décor n’est pas anodin puisque le récit a pour cœur géographique Bournville, ville modèle du sud-ouest de Birmingham fondée par une famille Quaker pour les employés de son usine de chocolat Cadbury, symbole dans un premier temps de l’économie florissante de l’Angleterre avant de devenir le fer de lance de la bataille contre l’Europe qui ne reconnaît pas comme chocolat les produits fabriqués en raison des ingrédients utilisés. Bournville devient ainsi le terreau narratif parfait, contenant en son sein toutes les problématiques que va traverser la société anglaise pendant plus d’un demi-siècle. Le racisme latent, le repli sur soi ou l’ouverture, le respect ou non de la monarchie, l’adhésion ou non à l’Europe, l’indépendance ou non des pays du Royaume-Uni, les choix de vie, les relations familiales, amicales ou amoureuses : avec un art du récit épatant, une maîtrise de la construction impressionnante, un mélange des genres, des tons et des voix impeccable, c’est une très très grande réussite que ce nouveau roman de Jonathan Coe à qui, si l’on osait, on demanderait bien, à l’image de cette pub Cadbury des années 80 (je vous parle d’un temps que les moins de 40 ans ne peuvent pas connaître), « de le faire un peu plus long », pour le savourer encore plus longtemps !

Traduction Marguerite Capelle.

Mélanie.

Le Royaume désuni, Jonathan Coe, Gallimard, 496 p., 23€.

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