Il existe une forêt où Mona Messine te dessine une biche.
Biche n’est pas qu’un roman anthropomorphique car il est , avant tout, multiple. C’est l’histoire d’une prédation, d’une remise à niveau entre humanité et animalité.
Tu arrives, à pas feutrés, auprès d’une harde. Mona Messine dresse ainsi le portrait d’un endroit lumineux, cette biche dans une clairière, humant l’air du vent, accordant de l’importance à dénicher ces glands nichés sous un tapis de feuilles.
L’auteure décrit les couleurs du ciel entre les ramures, l’harmonie des mères et des faons, la forêt comme matrice de toute vie, du chêne à l’akène, du ver de terre à l’ hérisson. Tu te faufiles, dans cette mouvante beauté.
Rapidement, au loin, résonne les pas des rabatteurs et des chasseurs.
Ce sont les prédateurs à la recherche des bêtes sur ce territoire palpitant, fait de végétaux, d’animaux, de minéraux et… d’humains.
Le vent forcit autant que l’ambiance. Au fil des pages, une peur enfantine revient, si tu te rappelles, celle où Bambi s’enfuit, où tu entends le feu des chasseurs, où la mère n’est plus.
Tu files entre les pages comme entre les branches, tu suis cette harde menée par cette biche incroyable.
La force de ce roman c’est que tu y crois, tu y es. Le territoire palpite et d’un conte naturaliste tu passes à un roman noir.
« Gérald se demanda trop longtemps si son genou ankylosé à cause de l’humidité allait l’entraver, lui faire manquer sa cible. Si des doigts gelés étaient plus lents à décocher le tir. Il ne compta pas lui laisser une chance.(…)Elle inspira, pleinement consciente de l’environnement qui l’entourait, des fûts d’arbres écorcés de tous bois, le sol rempli de vers et de punaises, les rapaces, les rats, le ciel…Tout conspirait dans la nuit.(…)Elle balaya du regard le chien qui ne s’arrêtait pas de grogner, puis le chasseur. Même à l’approche de la mort, la nuit est belle quand on est vivante, prêcha-t-elle. »
Gérald est ce chasseur de gros gibiers, celui arpentant les bois en tenue de camouflage. Le gars, il s’y connaît – ou croit connaître – cette forêt, sa propriété, son fusil, son chien, ses sens en alerte, avide. Il jouit Gérald, de ce pouvoir là: celui de l’homme sur la bête.
Dans le groupe des rabatteurs, se trouve la chef, Linda, que Mona Messine nous donne à voir, tout d’abord, forte et autoritaire, avant de la transformer par la clé d’un secret.
Si je pars dans l’univers du conte, je te chuchoterai qu’il y a donc un ogre, une Walkyrie mais aussi un lutin noir et une sacrée troupe de croqueurs d’os. Les humains de Mona Messine deviennent des créatures tordues -exception faite d’Alan, sorte de Robin Goodfellow- tandis que les biches prennent la place d’élégantes amazones.
Cerfs en rut, chasseurs excités de la gâchette, Mona Messine semble hurler à ces mâles de laisser tranquille les femelles . Oui, Biche, il suffit d’une patte de trop pour se mettre à montrer les crocs, redessinant les rapports de force et de contrôle.
L’animal est sauvage, certains hommes sont sauvagerie. La biche sent et reconnaît.
L’auteure valse entre ses protagonistes, la parole est à chacun, chacune, de la forêt au gamin acharné. Leur parole est là, tenue, tendre, tendue.
Alan, le garde-forestier, est celui portant l’espoir de sauver les choses. Sa relation, tout à fait romantique, le liant aux biches, te permet, parfois, d’espérer.
Pour la petite anecdote de derrière les fagots, c’est un autre Allan -Allan Lazar- qui déclare, dans son ouvrage sur les 101 personnages de fiction les plus célèbres, que Thomas Mann initie Walt Disney à l’œuvre de Felix Salten, à savoir « Bambi, l’histoire d’une vie dans les bois » -1923-
Alan est le fil rouge de Biche, celui donnant à voir une humanité respectueuse, parfois presque empêtrée innocemment dans ses espérances.
Biche t’emportera dans sa métamorphose.
« Ils conjugueraient par dépit leurs forces et leurs fusils pour les traquer encore et ajouteraient à leur blason de tueurs de biches un qualificatif: « petites salopes », ou « sales putes », à leur gré. Mais demain.(…) »
Le bel animal a tellement bien intégré le regard des prédateurs qu’à un moment celle-ci deviendra « créature », laissant les hommes se dupaient d’eux-mêmes.
À toi d’y aller, yeux grands ouverts et cœur tambourinant.
Fanny.
Biche, Mona Messine, Livres Agités, 203 p. , 18€90.