Un roman addictif et fulgurant.
Un être se niche au sein d’une forêt, sur le causse, une femme ensauvagée surprise par une détonation au cœur de son territoire.
Pierre Chavagné plante son décor, c’est dense, puissant et, dès les premières pages, tu perçois cette tension, cette étrangeté, cette dystopie dérangeante.
« Elle » n’est pas la nouvelle Ève , « elle » est une survivante, une guerrière se battant surtout contre elle-même, figure multiple, à l’image d’une Médée incendiaire.
Tu rentres dans ce roman comme tu rentres dans cette grotte.
Pierre Chavagné te fait aussi rencontrer son héroïne par le prisme de son journal intime. « Elle » est faite de plaies et de bosses, tu l’admires comme tu la crains, tu effleures la beauté de ce qui l’entoure tout comme tu affleures sa folle solitude.
Rien n’y est doux.
Si La femme paradis était un dessin, cela pourrait être une esquisse de Jean-Marc Rochette, ces traits anguleux, l’encre noire de ses yeux, ce regard résolu, mystérieux, avec comme domaine cette vaste nature.
« Elle s’adosse contre la hanche granitique du stoïcien et partage avec lui un moment de sagesse immobile. Il flotte dans l’air une odeur terreuse, comme si le vent glacial avait sucé une balle et vous la recrachait au visage. Elle inspire cet air et l’accueille avec bienveillance. Elle chasse de son cerveau toutes les pensées sales, toutes les négations, toutes les images et étouffe les résidus sous une épaisse couche de néant. Elle se vide et s’oublie. Elle a les yeux clos. Les rafales brassant le froid du nord cinglent son visage, les joues et le front rosissent sans que ses muscles n’esquissent le moindre frissonnement. La traque commence par une journée pétrifiée. »
Petit à petit, Pierre Chavagné te fait ressentir l’animal blessé sans passé qui se mure, s’emmure, murmure à elle-même des pensées qu’elle t’offre.
Le monde autour semble lui-même, devenu à la fois flou et fou; durant la lecture de La femme paradis, tu penses à Dans la forêt de Jean Hegland ou à La route de McCarthy, cette noirceur qui te prend délicatement aux tripes, cette sauvagerie qui n’appartient qu’à l’humain.
« Elle s’est réfugiée dans la nature contre la ville, dans la solitude contre la société, dans l’oubli contre la mémoire. Elle a créé son propre paradis, sa grotte est son ermitage. Recluse dans l’immensité, elle a choisi l’envers du monde. elle s’est aventurée trop loi des hommes pour revenir. »
La femme paradis porte la singularité d’un texte antique et la contemporanéité du monde vivant dans lequel nous vivons.
Ce roman est à double tranchant, il s’inscrit dans nos vives incertitudes, fait ressurgit nos instincts primitifs, nous montre ce que nous bâtissons autour de nous comme forteresse et ce que nous nous forçons à oublier. La femme paradis raconte aussi la fin du désir, la libération d’un trauma, la cohabitation ultime avec un territoire; c’est un roman vif, acharné, percutant, inoubliable.
Fanny.
La femme paradis, Pierre Chavagné, Le Mot et le Reste, 156 p. , 18€.
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