« Le plus grand péché de l’être humain, c’était de laisser passer la première faute. Ensuite, plus moyen de s’arrêter. Une fois l’élan donné, l’erreur descendait la pente sans rien à quoi se raccrocher. »
Quelques faits : Bois-aux-Renards est le 9ème roman signé Antoine Chainas. Six sont parus à la Série Noire entre 2007 et 2018, deux autres aux éditions Baleine et La Tengo. Bois-aux-Renards est indéniablement un des romans les plus attendus de cette rentrée d’hiver. Antoine Chainas n’est pas un écrivain prolifique, il s’est écoulé quatre ans depuis Empire des chimères. Ses romans ont pour point commun de surprendre chaque fois, de choquer, de déstabiliser, bref Antoine Chainas n’est pas un écrivain consensuel, il n’est pas un auteur tiède non plus. Et ce n’est pas Bois-aux-Renards qui me fera mentir. On ne peut que s’en réjouir ainsi que de la capacité de son auteur à se trouver où on ne l’attend pas, en l’occurrence aujourd’hui au pays des contes et légendes.
Tout démarre par un accident de voiture qui laisse Chloé orpheline et seule survivante de sa famille. Elle sera sauvée et prise en charge par trois hommes et une guérisseuse. Ainsi s’ouvre le roman. Trente-cinq ans plus tard, nous voici dans les traces d’Yves et Bernadette, couple de tueurs en série parcourant la France en camping-car à la recherche de nouvelles victimes. Mais, cet été, rien ne se passe comme d’habitude et une de leurs victimes leur échappe alors qu’Anna, jeune fille simplette, est témoin de leur dernier meurtre. Anna va trouver refuge au coeur de Bois-aux-Renards, forêt immense et tentaculaire au fond de laquelle survit une étrange communauté en retrait de la société.
Véritable roman-gigogne, Bois-aux-Renards plonge ses racines dans nombre de légendes associées à ce lieu inquiétant. Antoine Chainas renoue avec les rites païens apparus très tôt dans l’histoire de notre pays et qui, par endroits, n’en finissent pas de perdurer. Bien au-delà du simple folklore local, il interroge notre rapport à la nature et aux créatures qui la peuplent. Fidèle à une certaine causticité, il ne manque pas de rappeler le peu d’estime qu’il accorde à l’espèce humaine.
« Toute civilisation reposait sur les concepts d’obligation et de crime, de tolérance et de limite. Une espèce qui acceptait sans sourciller les embouteillages, les supermarchés, les églises, la mode et les restaurants méritait peu de considération. »
Si Bois-aux-Renards démarre comme un roman noir plutôt classique, il emprunte rapidement des chemins de traverse qui emmènent le récit très loin d’une simple histoire de tueurs en série. Empire des Chimères était déjà marqué par une atmosphère fantastique qui resurgit ici à la faveur des mythes, contes et légendes dont Chainas abreuve son récit. Cette plongée dans l’imaginaire des hommes, en même temps que dans ces bois sombres dont il semble impossible de sortir, revêt très vite les allures d’un cauchemar éveillé au sein duquel les prédateurs auront tôt fait de devenir des proies. Alors que les hommes sont très présents dans le roman, ce sont les figures féminines qui s’avèrent les plus marquantes et il devient rapidement évident que la communauté de Bois-aux-Renards est une société matriarcale. Anna, Hermione, Chloé, autant de personnalités fortes qui, consciemment ou non, tirent les ficelles du théâtre noir qui se joue au fond des bois. Le mythe de la sorcière n’est jamais loin, c’est la femme qui possède le savoir ancestral.
« Ce n’est pas ici que tu dois avoir peur, Bois-aux-Renards est un endroit plein de prodiges et d’illusions. il n’est pas rare que certains s’y perdent (…) il y depuis toujours des ombres parmi les arbres, et entre ces arbres des apparitions pour qui sait regarder. Je crois que tu en as déjà vu certaines. »
Bois-aux-Renards finit sans conteste d’imposer Antoine Chainas comme une figure majeure du roman noir français et devrait marquer les esprits en cette rentrée littéraire hivernale. Son imagination, son écriture chirurgicale et son désir d’émancipation du noir pur font de ses romans une expérience, un voyage dont on aurait tort de se priver, le rapprochant ainsi d’un Brian Evenson avec lequel il partage le même mépris pour l’espèce humaine et qui a également ouvert l’année avec force. On ne pourra que se réjouir d’une année qui démarre avec des textes aussi originaux que réussis.
Yann.
Bois-aux-Renards, Antoine Chainas, Gallimard / La Noire, 528 p. , 21€.
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